Prévoir l’imprévu

Par Jean-Paul VANDERLINDEN
Comment citer cet article
Jean-Paul VANDERLINDEN, "Prévoir l’imprévu", CERISCOPE Environnement, 2014, [en ligne], consulté le 25/04/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/environnement/content/prevoir-l-imprevu

Dans un contexte de scénarisation, il est possible d’identifier trois sources d’incertitude irréductibles : l’ignorance, la surprise et la volition. Ces sources d’incertitude correspondent à l’occurrence d’une bifurcation (la « perte du clou » dans la comptine rapportée par Franklin).

L’ignorance correspond à une situation où l’incapacité de prévoir un événement tient à un déficit pur de connaissance. La guerre du Kippour, et en particulier le succès initial de l’armée égyptienne dans les premiers jours est un exemple de telle bifurcation (Shlaim 1976). Dans cet exemple, les questions de relations internationales étaient totalement imbriquées à des questions environnementales au sens large (crise énergétique).

La surprise correspond à une situation où un événement est impossible à prévoir avec précision. Le tsunami du 26 décembre 2004 dans l’océan Indien en est l’exemple même. Si l’occurrence d’un tsunami était certainement plausible (du moins pour les géophysiciens), les acteurs, institutionnels ou non, n’y étaient pas préparés. Si cette imprévoyance s’est traduite par un nombre de victimes qui a plongé le monde dans la stupeur, ce tsunami est aussi en lui-même un événement qui a provoqué d’autres bifurcations. Klein (2008) montre par exemple que ce tsunami a lui-même entraîné une modification en profondeur des structures des droits de propriété sur les côtes touchées. Il a en effet rendu possible un transfert d’une propriété locale de la terre à une propriété transnationale liée à l’afflux d’investissements étrangers.

L’incertitude de volition procède quant à elle des inconnues associées à l’expression de la volonté humaine, individuelle et/ou collective. Les scénarios d’émissions du troisième rapport du GIEC (IPCC 2000) relèvent de ce type d’incertitudes irréductibles et sont établis en fonction de la nature du sentier de développement que prendront les sociétés humaines à la fois nationalement et internationalement. Ces sentiers de développement dépendent de décisions trop nombreuses pour permettre de les anticiper (importance des politiques « vertes », degrés de coordination, convergences économiques, intégrations politiques). Le GIEC a ainsi choisi d’explorer différents scénarios types, liés à différentes manifestations plausibles de la volition, afin d’élaborer les projections climatiques associées.