Prévoir l’imprévu

Par Jean-Paul VANDERLINDEN
Comment citer cet article
Jean-Paul VANDERLINDEN, "Prévoir l’imprévu", CERISCOPE Environnement, 2014, [en ligne], consulté le 25/04/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/environnement/content/prevoir-l-imprevu

 

Prévoir : concevoir quelque chose par la pensée, l’envisager comme possible, et, en particulier, prendre des dispositions en vue de son éventualité (Dictionnaire de français Larousse).

Imprévu : qui arrive de façon inattendue et souvent déconcerte (Dictionnaire de français Larousse).
 

Prévoir l’imprévu, entrevoir l’imprévisible, rendre plausible le non-probabilisable, ces expressions apparemment oxymoriques sont au cœur de la prospective environnementale en général, et de la prospective climatique en particulier. Par l’exploration des champs des possibles, pour se préparer, pour aider à la prise de décision, aujourd’hui ou plus tard, l’établissement de scénarios prospectifs est également un enjeu crucial des problématiques croisées de l’environnement et des relations internationales. Les exemples les mieux connus de scénarios prospectifs sont ceux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) (IPCC 2000), ceux de l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire (Millenium Ecosystem Assessment 2005) ou encore ceux de l’Avenir de l’environnement mondial (Global Environment Outlook) du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE 1999).

Néanmoins, le vocable « prospective environnementale » et les pratiques de scénarisation associées recouvrent des réalités diverses, correspondant à des objectifs variés. Nous souhaitons ici permettre au lecteur de décrypter cette diversité, ses origines et ainsi d’appréhender tant l’importance des fondements théoriques de la scénarisation que ses conséquences dans les pratiques actuelles.

Après un bref historique, nous présenterons les concepts centraux de la prospective telle que nous l’envisageons. Nous nous intéresserons ensuite à la nature des incertitudes avant de proposer une typologie simple des approches de la scénarisation et des avantages qui y sont associés. Enfin, nous aborderons quelques éléments de débats actuels liés au déploiement d’exercices de scénarisation.

Bref historique de la scénarisation prospective

La prospective scénarisée est considérée comme un produit de la guerre froide et de ses « war games ». Il s’agissait de permettre aux décideurs américains de se préparer, « à blanc », aux champs des possibles liés à l’utilisation de l’arme nucléaire, afin que les évènements, par leur caractère déconcertant, ne bloquent pas les décisions. Prévoir l’imprévu consistait alors à envisager des « plausibles » afin que des situations surprenantes ne viennent pas hypothéquer la capacité de passer à l’action.

Le déploiement plus large de la prospective au sein de l’entreprise privée est, quant à lui, souvent présenté comme associé à la stratégie déployée par la compagnie pétrolière Shell afin de s’assurer un avantage compétitif dans le contexte du choc pétrolier consécutif à la guerre du Kippour (1973). En effet, l’éventualité d’une cartellisation, ou du moins d’une augmentation importante du prix du brut ayant été envisagée dans le cadre de plans contingents, Shell a pu prendre des décisions plus rapidement que ses concurrents. Son service de prospective aurait ainsi également envisagé la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, la montée de la conscience environnementale, source de contraintes pour l’industrie pétrolière, l’émergence de la Russie postsoviétique et de l’économie chinoise (Cornelius, Van de Putte et Romani 2005). Prévoir l’imprévu consistait alors à établir des plans contingents à la réalisation d’avenirs plausibles afin d’éviter les pertes économiques liées à un temps de réaction trop long. Aujourd’hui, envisager le plausible afin de prévoir l’imprévu est au cœur des dynamiques internationales qui ont trait aux enjeux environnementaux. Dans ce cas, prévoir l’imprévu consiste à définir des avenirs de référence afin de nous permettre d’agir aujourd’hui, voire demain ou après-demain, pour éviter que se réalise un futur non désiré.

Prédiction, projection, scénarisation

La figure ci-dessus propose un cadre permettant de distinguer prévisions, projections et scénarisation en termes de complexité et d’incertitudes. La scénarisation prospective, si elle s’appuie parfois sur des prévisions ou des projections, ne relève pas de ces catégories. Elle s’applique à des situations hautement complexes et entachées d’incertitudes irréductibles, ce qui explique son succès dans le cadre de l’analyse d’enjeux environnementaux dans un contexte international.

Qu’il s’agisse de scénarios exploratoires ou spéculatifs, l’objectif poursuivi par la scénarisation est d’obtenir une description plausible et souvent simplifiée de la façon dont l’avenir pourrait prendre forme. Dans ce contexte, la science permet d’évaluer la plausibilité et d’identifier les incertitudes irréductibles associées à l’évolution de systèmes non déterministes. Ces incertitudes sont associées à des bifurcations, impliquant des non-linéarités qui affecteront l’avenir de façon significative. Le caractère non probabilisable et non linéaire de ces bifurcations impose la nécessité de recourir à une approche scénarisée. Il est capturé dans la comptine dite du « Clou » (cité dans Franklin 1779 : 14-15) :

For Want of a Nail

For want of a nail the shoe was lost

For want of a shoe the horse was lost

For want of a horse the rider was lost

For want of a rider the message was lost

For want of a message the battle was lost

For want of a battle the kingdom was lost

And all for the want of a horseshoe nail

Faute d’un Clou

Faute d’un clou le fer fut perdu

Faute d’un fer le cheval fut perdu

Faute d’un cheval le cavalier fut perdu

Faute d’un cavalier le message fut perdu

Faute d’un message la bataille fut perdue

Faute d’une bataille le royaume fut perdu

Tout cela faute d’un clou

Nature de l’imprévisibilité

Dans un contexte de scénarisation, il est possible d’identifier trois sources d’incertitude irréductibles : l’ignorance, la surprise et la volition. Ces sources d’incertitude correspondent à l’occurrence d’une bifurcation (la « perte du clou » dans la comptine rapportée par Franklin).

L’ignorance correspond à une situation où l’incapacité de prévoir un événement tient à un déficit pur de connaissance. La guerre du Kippour, et en particulier le succès initial de l’armée égyptienne dans les premiers jours est un exemple de telle bifurcation (Shlaim 1976). Dans cet exemple, les questions de relations internationales étaient totalement imbriquées à des questions environnementales au sens large (crise énergétique).

La surprise correspond à une situation où un événement est impossible à prévoir avec précision. Le tsunami du 26 décembre 2004 dans l’océan Indien en est l’exemple même. Si l’occurrence d’un tsunami était certainement plausible (du moins pour les géophysiciens), les acteurs, institutionnels ou non, n’y étaient pas préparés. Si cette imprévoyance s’est traduite par un nombre de victimes qui a plongé le monde dans la stupeur, ce tsunami est aussi en lui-même un événement qui a provoqué d’autres bifurcations. Klein (2008) montre par exemple que ce tsunami a lui-même entraîné une modification en profondeur des structures des droits de propriété sur les côtes touchées. Il a en effet rendu possible un transfert d’une propriété locale de la terre à une propriété transnationale liée à l’afflux d’investissements étrangers.

L’incertitude de volition procède quant à elle des inconnues associées à l’expression de la volonté humaine, individuelle et/ou collective. Les scénarios d’émissions du troisième rapport du GIEC (IPCC 2000) relèvent de ce type d’incertitudes irréductibles et sont établis en fonction de la nature du sentier de développement que prendront les sociétés humaines à la fois nationalement et internationalement. Ces sentiers de développement dépendent de décisions trop nombreuses pour permettre de les anticiper (importance des politiques « vertes », degrés de coordination, convergences économiques, intégrations politiques). Le GIEC a ainsi choisi d’explorer différents scénarios types, liés à différentes manifestations plausibles de la volition, afin d’élaborer les projections climatiques associées.

Quelles questions envisager ?

Une fois ces éléments posés, il est important de constater que si la scénarisation relève de l’appréhension d’avenirs frappés d’incertitude absolue, elle porte simultanément tant sur les bifurcations elles-mêmes (les causes de l’incertitude) que sur les points d’arrivée potentiels. En effet, en reformulant les propos tenus précédemment, nous pourrions dire que la valeur ajoutée de la scénarisation est de permettre d’envisager des avenirs plausibles, avenirs eux-mêmes déterminés par des bifurcations non probabilisables. La description de ces bifurcations peuvent être comprise comme relevant de la prospective au même titre que l’appréhension d’avenirs plausibles. Cela nous amène à préciser l’imprévu non plus uniquement en fonction de sa nature, mais également en termes de topologie. La figure ci-dessous présente cette double caractérisation en s’appuyant sur les exemples utilisés plus tôt.

Si avenirs plausibles et bifurcations peuvent être associés, il est alors possible d’imaginer que la prospective puisse permettre non seulement de prévoir l’imprévu mais également d’agir sur celui-ci en anticipant les bifurcations potentielles afin de disposer d’une ligne de conduite face aux bifurcations elles-mêmes. Ce constat, né de la pratique de la prospective, a mené au développement de trois approches pour l’élaboration de scénarios prospectifs. Une première approche se concentre sur l’exploration des avenirs plausibles, une seconde sur l’identification des bifurcations critiques par rapport à des enjeux identifiés et une troisième consiste à définir un avenir souhaité afin de déterminer quel sentier suivre, eu égard aux bifurcations potentielles rencontrées chemin faisant.

La scénarisation déductive

La scénarisation déductive est utilisée pour l’exploration des avenirs plausibles. Nous nous situons donc dans la partie droite de notre tableau de typologie (Figure précédente). Il s’agit, lors de l’élaboration, de procéder par une succession d’étapes : identification des enjeux-clés ; identification des forces motrices ; identification des incertitudes centrales ; définition de la logique interne du scénario ; réalisation du scénario.

L’identification des enjeux-clés est une étape où l’on analyse les motivations en termes d’enjeux critiques que l’on souhaite explorer. L’étape d’identification des forces motrices consiste à déterminer quels éléments extérieurs ou intérieurs au système considéré doivent être retenus comme affectant significativement les enjeux-clés. L’identification des incertitudes centrales revient à déterminer les bifurcations irréductiblement incertaines, celles qui détermineront la ligne narrative du scénario, laquelle nous permettra de dire quels chemins mènent aux avenirs scénarisés.

La scénarisation inductive

L’approche par scénarisation inductive est quant à elle privilégiée pour l’exploration des bifurcations critiques. Cette approche est donc liée à la partie gauche de la typologie représentée dans le tableau de typologie. A nouveau, il est possible d’identifier une succession d’étapes : identification des enjeux-clés ; identification d’évènements-clés ; caractérisation soignée de ces évènements ; établissement des liens entre forces motrices et évènements ; réalisation du scénario.

De la même façon que pour la scénarisation déductive, l’identification des enjeux-clés permet de clarifier les motivations. Ensuite, l’approche inductive est fort différente. L’accent est mis sur l’identification des bifurcations-clés, l’identification d’évènements susceptibles de faire dévier le système vers des états différents. Ces événements sont caractérisés avec soin, en particulier pour qui concerne leurs implications pour la prise de décisions. Ce n’est qu’ensuite que les forces motrices sont analysées, mais en se focalisant sur leur lien avec ces bifurcations-clés.

On peut comprendre la scénarisation inductive comme une évolution de la scénarisation déductive. Cette évolution s’explique par le désir de concentrer l’utilisation des ressources (temps de calcul, analyse d’arbre de décision) non pour se représenter un ensemble d’avenirs mais pour se préparer à faire face à une série d’étapes critiques par lesquelles il se peut que l’on soit obligé de passer.

La scénarisation incrémentale

La scénarisation incrémentale, qui apparaît plus tard dans la brève histoire de la scénarisation prospective, est quant à elle assez radicalement différente (voir figure ci-dessous). L’objet ici est de permettre de définir un sentier à suivre pour atteindre un avenir jugé souhaitable. En utilisant des techniques dont il ne sera pas question ici, un scénario « officiel », menant de façon générale vers un avenir souhaité, sert de référence. Ensuite, un chemin est déterminé en mettant l’accent sur les bifurcations risquant de nous éloigner de l’avenir souhaité. L’objectif est alors de disposer de plans contingents destinés à maintenir le cours des évènements dans la direction souhaitée.

Quelques éléments supplémentaires

Différents éléments font débat aujourd’hui concernant la scénarisation. Nous aborderons ici la place de la science, la place des formes narratives, l’arrimage de la scénarisation à la prise de décision et les bénéfices des exercices de scénarisation, hors le bénéfice lié à la « prévision de l’imprévu ».

La question de la science et de sa place dans la scénarisation fait parfois l’objet de controverses. Elle est d’autant plus importante que la science joue deux rôles dans le cadre des exercices de scénarisation. Le premier tient à la capacité d’effectuer des prédictions ou des projections (cf. Figure des formes prospectives) pour certaines parties du système. La science est essentiellement mobilisée ici pour lier évolution du système et force motrice. Le second tient à sa contribution à l’évaluation de la plausibilité des chemins pris par le système lors des bifurcations. Cette focalisation sur les capacité en termes de prédiction/projection, mobilisant essentiellement les sciences de la vie et de la terre, et dans une moindre mesure de l’économie, est souvent soulignée comme menant à la non prise en compte du fait qu’une scénarisation est essentiellement un processus social (Garb, Pulver et VanDeveer 2008). En effet, si les connaissances scientifiques sont mobilisées dans le cadre de la réalisation de scénarios, il n’en demeure pas moins que les scénarios eux-mêmes consistent en des narratifs plus ou moins complexes, « racontant » comment est imaginée l’évolution d’un système dans un contexte particulier, en choisissant des bifurcations particulières. Le recours à une forme narrative permet de s’affranchir des difficultés associées au caractère non probabilisable des bifurcations. Le recours à une forme narrative explique notamment que des scénarios soient souvent critiqués en termes de plausibilité de l’histoire présentée. Néanmoins, cela implique dès lors de construire proactivement un pont entre les sciences de la vie et de la terre et les humanités, en passant par les sciences sociales (Rasmussen 2008).

Un autre élément important est la question de l’arrimage entre scénario et prise de décision. Elle se pose à deux niveaux. Le premier est celui de l’opérationnalisation du lien entre personnes (ou structures) chargées de la scénarisation et preneurs de décision. L’entretien de ce lien est en soit consommateur de ressources et nécessite un dialogue constant afin que les scénarios développés s’adressent bien aux enjeux des décideurs et que les décideurs comprennent la nature prospective – avec incertitudes irréductibles – d’un scénario. Le second niveau est celui de la temporalité propre au scénario (long terme) confronté aux temporalités du politique (court terme). La difficulté de l’arrimage entre scénario et décision a engendré une réflexion de fond sur les bénéfices associés à la scénarisation. Cette réflexion a d’abord été essentiellement le fait du secteur privé (e.g., Goodwin et Wright 2001). Aujourd’hui, la question se pose au sein des agences de planification locale et régionale (e.g., Bartholomew 2007), ainsi que dans le cadre d’initiatives nationales (e.g., Hulme et Dessai 2008).

Du point de vue procédural, il apparaît que les participants à un exercice de scénarisation appréhendent le système étudié de façon plus complète et tiennent mieux compte des interactions au sein du système (e.g., Palomo, Martin-Lopez, Lopez-Santiago et Montes 2011). Cela a conduit au développement d’une pratique de scénarisation participative afin d’élargir le cercle des apprenants (e.g., Patel, Kok et Rotman 2007). En outre, la réalisation conjointe de scénarios se transforme en une plateforme efficace d’échanges entre parties porteuses de valeurs et de visions paradigmatiques différentes (e.g., Kane et al. 2015). Finalement, la réalisation de scénarios contribue positivement à la construction d’un lien social entre participants. Cela se traduit par la pratique d’un langage commun, d’apprentissages mutuels. Du point de vue des connaissances, il s’est avéré que la réalisation de scénarios permet simultanément d’améliorer la connaissance sur l’état du système analysé, la connaissance des forces motrices en présence et de leurs impacts, ainsi que la compréhension des processus de changement (e.g., Palomo, Martin-Lopez, Lopez-Santiago et Montes 2011).

Relations internationales, environnement, scénarisation : quelques éléments sur la dynamique du GIEC

Un exemple d’application d’une approche par la scénarisation des questions d’environnement dans un contexte de relations internationales est celui du GIEC. Dans le cadre du résumé pour décideurs du « Rapport spécial du GIEC – Scénarios d’émission », on peut notamment lire :

« Les émissions futures de gaz à effet de serre sont le produit de systèmes dynamiques très complexes déterminés par des forces motrices telles que la croissance démographique, le développement socio-économique et l’évolution technologique. Leur évolution future est hautement incertaine. Les scenarios sont des images diverses du déroulement possible du futur et ils constituent un outil approprié pour analyser comment des forces motrices peuvent influer sur les émissions futures et pour évaluer les incertitudes connexes. » (GIEC 2000)

Il s’agit dans ce cas-ci d’un exemple de scénarisation établi afin de faire face à une incertitude liée à la volition. En effet, ce qui est invoqué c’est la complexité des forces motrices en présence, dont l’évolution future est hautement incertaine en raison des choix humains. Ces scénarios, portant sur les émissions, sont ensuite utilisés comme données sur le forçage anthropique potentiel du système climatique. A partir des scénarios climatiques qui en découlent, il est possible d’en envisager les impacts potentiels. Au-delà du caractère formel et assez technique de l’établissement des scénarios par le GIEC, certains éléments méritent d’être soulignés.

Du point de vue des relations internationales, un tel exercice autorise le développement d’une représentation partagée des avenirs plausibles, eux-mêmes fonction de décisions restant à prendre. Il s’agit alors d’une manifestation de la scénarisation déductive, permettant d’envisager l’imprévu par l’analyse des forces motrices et des enjeux-clés. Du point de vue des relations internationales, un tel exercice permet également d’envisager collectivement différents avenirs plausibles en partageant un langage, l’identification des enjeux ainsi que la mobilisation des expertises existantes dans leur ensemble.

Alternativement, et c’est dans cette direction que se dirigent les travaux du GIEC actuellement, de telles scénarisations peuvent permettre de définir des points d’arrivée afin d’explorer les lieux de bifurcation. Dans une perspective de relations internationales, cette lecture de la scénarisation du GIEC se rapproche de ce qui peut être un objectif : définir les points critiques appelant une action commune.

Finalement, l’identification d’un avenir souhaité au sein du portefeuille d’avenirs plausibles résultant de la scénarisation pourrait mener à un mode de scénarisation incrémentale, qui faciliterait ainsi une action collective coordonnée en direction d’un futur désiré, non subi.

Conclusion

Nous avons essayé ici de partager des éléments conceptuels et quelque peu techniques associés à la pratique de la scénarisation prospective, pratique aujourd’hui plébiscitée dans des situations où enjeux environnementaux et relations internationales sont imbriqués.

Plutôt que de nous focaliser sur les éléments concrets traités dans les autres chapitres de cet ouvrage, il nous a semblé important en effet de rappeler qu’il existe une armature intellectuelle permettant de faire face à l’imprévisible tout en dégageant d’autres bénéfices venant faciliter l’action collective.

A partir d’une expression apparemment oxymorique, « prévoir l’imprévu », nous avons montré que l’identification de bifurcations entachées d’incertitudes irréductibles peut permettre d’informer la prise de décision par une mobilisation simultanée des connaissances scientifiques et de la narration. Si l’arrimage réel des scénarios et de la prise de décision peut sembler difficile, les bénéfices associés à la scénarisation prospective sont nombreux tant du point de vue de la procédure que du point de vue des progrès de la connaissance. Si ces bénéfices eux-mêmes ne contribuent pas nécessairement à une meilleure prise de décision, ils permettent certainement d’être mieux équipé pour faire face à l’imprévu.

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