Sommaire

Introduction

Le pari du numérique - Marie-Françoise Durand et Christian Lequesne

Les fondements de la frontière

Résumé/Abstract
La scène frontalière contemporaine est bien plus animée que les discours sur l'état d'un monde aplati par la globalisation le laissent entendre. L'inscription territoriale des phénomènes politiques et géopolitiques, économiques et démographiques s'accentue de sorte que les frontières politiques deviennent plus nombreuses, plus visibles et en plein règlement. Les contentieux persistent et on observe un recours croissant aux instances juridiques pour la gestion des différends. Les régimes de contrôle frontaliers se font plus stricts même s'ils s'avèrent plus dispersés. Bref les phénomènes de cloisonnement vont de pair avec la généralisation de l'ouverture aux flux de toutes natures.

The state of contemporary borders is much more dynamic than one is led to believe by discussions about a world made flat by globalization. Politics, geopolitics, economics and demography have all contributed to an increase in the number and visibility of political borders. The issues remain contentious and we can observe an increase in the use of formal legal dispute resolution. Border control regimes are becoming stricter even as they are increasingly dispersed. In sum, efforts at containment go along with a general opening to traffic of all sorts.

Résumé/Abstract
Les savoirs sur la frontière relèvent de diverses disciplines mais, spontanément, la frontière est associée au territoire, à la souveraineté, à l'État, à la sécurité. Cet article vise à rendre compte des approches classiques de la frontière, de ce qui fait leur force et leur unité. Il vise aussi à décoloniser et décloisonner ces savoirs et présente une série d'approches alternatives où la frontière n'est pas l'enveloppe territoriale. La frontière, dans ce cas, ne serait-elle pas la mise en sens rétroactive, dans un monde fluide, des différences de perspectives entre groupes hétérogènes sur la mobilité et son contrôle et la légitimation de ces pratiques ?

Diverse disciplines are involved in the study of borders and border issues include those associated with territory, sovereignty, the state, and security. This article studies the classic approaches to the study of borders and what unites them. It also aims to segregate them and offer a series of alternative approaches, which do not view borders as territorial envelopes. Rather, borders are seen as a reflection, in a fluid world, of the different perspectives of diverse peoples on mobility and the legalization of their practices.

Résumé/Abstract
La frontière, en tant que principe organisateur des relations internationales, a une histoire. Il faut tenir compte de celle-ci pour comprendre pourquoi, vu d'Europe, la notion de « dépassement des frontières » peut sembler une sorte d'idéal politique à atteindre, alors que vu d'ailleurs ce n'est pas nécessairement le cas. Le contraste des perceptions est, en l'occurrence, particulièrement net entre les anciennes puissances impériales européennes et les nations qui ont subi la domination de ces dernières. La signification de la souveraineté n'est historiquement pas la même chez les unes et les autres. L'homogénéité du discours sur le « village global » ou le « monde sans frontières » tend à faire perdre de vue cette différence fondamentale entre les trajectoires nationales.  Elle n'en pèse pas moins dans la façon dont les Etats, européens et non-européens, se positionnent face à la mondialisation contemporaine.

Borders as the organizing principle of international relations has a long history. This must be taken into account if one is to understand why, from the European perspective, the notion of “dépassement de frontières” is seen as a political ideal, while as seem from elsewhere this is not necessarily the case. The contrast is particularly evident between the perspectives of the old imperial European powers and the nations subjected to them. Historically, the meaning of “sovereignty” has not been the same for these two groups. This fundamental difference between nations is lost in discussions about the global village and the world without borders. And yet, it impacts the ways in which Europeans and non-Europeans address globalization.   

Droit, territoire et individus

Résumé/Abstract
La notion de frontière se confond avec l'histoire de l'humanité et ses acceptions sont multiples. Frontière-ligne, frontière-zone, confins, limite entre la civilisation et son contraire, le sauvage, le désert. La frontière se situe au point d'équilibre de trois données sociologiques : le territoire, l'État et la Nation. Marquant les contours d'un espace homogène, elle participe au fondement de l'État-Nation. Héritage de l'Histoire, son abornement est source de conflits lorsque frontière et fondements ethniques, religieux ou culturels des peuples résidants ne se recoupent pas comme dans le cas de la décolonisation en Afrique ou de la dissolution des anciens pays du bloc de l'Est. Compromis, équilibre instable et sujet à évolutions, il semble évident qu'il ne peut exister aucune frontière idéale.

The concept of borders is intertwined with human history and its uses are numerous: border-line, border-zone, confine, boundary between civilization and its opposite, the savage, the desert. The border sits at the intersection of three sociological concepts: territory, the nation-state, and historical heritage. Outlining a homogeneous space, a border is at the origin of the nation-state. Historically, the demarcation of borders has been a source of conflict when residents cannot be physically divided neatly according to their ethnic origins, religion and culture as was the case with the decolonization of Africa or the break-up of the former Eastern block. The result of compromises, unstable, and ever-evolving, it is evident that there is no such thing as an ideal border.

Résumé/Abstract
En dépit de la Convention de Montego Bay régulant les différents espaces maritimes, force est de constater que les différends territoriaux concernent régulièrement les frontières maritimes. De nouvelles revendications territoriales voient actuellement le jour, en raison des enjeux économiques liés à l'appropriation de nouvelles ressources naturelles ou induits par le réchauffement climatique (cf. Arctique). La volonté de certains États d'affirmer leur puissance régionale peut également se traduire par une stratégie de « juridiction rampante » sur des zones maritimes voisines (cf. Mer de Chine). La nécessité de garantir la sûreté en mer se traduit, par ailleurs, par la surveillance du franchissement illicite des frontières maritimes (cf. immigration par mer) et par la lutte contre la criminalité exploitant les défaillances de certains espaces maritimes (cf. narcotrafic, piraterie).

Despite the Convention of Montego Bay, which regulates various maritime areas, disputes continue over maritime borders. In fact new territorial disputes have recently arisen due to the economic challenges posed by the discovery of natural resources and climate change (cf. the Artic). Moves by certain states to increase their power can involve claims of jurisdiction over maritime areas. (cf. China sea). In order to ensure maritime security it is necessary to combat both illegal maritime-border crossings (cf. immigration by sea) and criminal exploitation of the weaknesses in the regulation of maritime areas (cf. Narco-trafficing, piracy).

Résumé/Abstract
Tandis que certains annoncent la « globalisation » du monde, l' « Europe » se cherche une frontière extérieure à laquelle ses États-membres seraient susceptibles d'articuler leurs mécanismes de contrôle et de surveillance des individus mobiles. Établissement d'une frontière et ancrage de l'Europe dans une modernité politique dépassée par les flux transnationaux, ou traçabilité des individus au moyen d'outils techniques déterritorialisés qui rendent la frontière-ligne géographique obsolète ? C'est là l'aporie face à laquelle se trouve aujourd'hui l' « Europe » - et, avec elle, les États-nations de l'ère de la modernité politique. Une aporie que nous nous proposons de discuter en explorant les pratiques de frontiérisation et leurs effets.

While some have proclaimed the world to be “globalized”, “Europe” is seeking to establish exterior borders permitting its member states to control the movement of people. To establish borders and tie Europe to a policy which is inadequate in the face of transnational movements, or to track individuals with technology which renders geographical borders obsolete? This is the dilemma facing “Europe” and nation states in the modern era. A dilemma which we discuss in exploring border-creating activities and their effect.

La remise en cause des accords de Schengen - Marie-Laure Basilien-Gainche
Résumé/Abstract
A la suite du printemps arabe qui a marqué le début de cette année 2011, quelque 30 000 Nord-Africains ont débarqué sur les côtes italiennes et ainsi ravivé les peurs d'une Europe en crise de croissance et d'identité. Dénonciation d'un manque de solidarité entre Etats membres de l'Union dans le partage du « fardeau » de l'accueil des migrants par les uns, accusation d'un manque de vigilance dans les contrôles aux frontières extérieures de l'Union par d'autres, les tensions se sont avivées entre l'Italie et la France ; entre les Etats méditerranéens et les autres ; entre certains Etats membres et l'Union ; entre le Conseil et la Commission. Le débat sur une remise en cause des accords de Schengen met en évidence combien les fondamentaux de cet espace sont aujourd'hui malmenés, qu'il s'agisse de la libre circulation des personnes ou de la confiance mutuelle entre Etats membres.

In the aftermath of the Arab Spring at the beginning of 2011 some 30,000 North Africans landed on the Italian coast, reviving fears in a Europe in the midst of an economic and identity crisis. Denunciation by some of the lack of solidarity among member states in sharing the costs associated with migrants, complaints by others of inadequate control of the EU borders, tensions have increased between Italy and France, between Mediterranean nations and others, between the member states of the EU, and between the EU Council and the EU Commission. The debate over a reconsideration of the Schengen agreement illustrates how poorly the fundamentals of the Schengen area are managed, whether it is the free circulation of people or the confidence members have in each other.

Résumé/Abstract
L'institutionnalisation de la coopération transfrontalière en Europe est le produit de l'action combinée des principaux acteurs publics de la gouvernance communautaire à de multiples niveaux : les deux principales organisations européennes – Conseil de l'Europe et Union européenne ; les autorités territoriales et les États. Or, si cette action a eu pour résultat commun l'émergence et la multiplication d'espaces et d'organisations transfrontalières, communément désignées comme « eurorégions », cela ne va pas sans soulever de contradictions, à commencer par celle d'une « institutionnalisation sans institution », alors même que le droit européen ouvre de nouvelles perspectives de structuration juridique pour de telles organisations.

European trans-border cooperation involves institutional cooperation among public authorities at various levels of European governance: the two principal European organizations—the European Counsel and the European Union; the territorial authorities and the member states. However, even as this cooperation has led to the creation of multiple trans-boundary areas and organizations, commonly referred to as “euroregions”, it has resulted in anomalies such as that of “institutionalization without  an institution”.  And this even as European law provides the legal basis for such organizations.

Résumé/Abstract
L'émigration des Irakiens, qui remonte aux années 1990, s'inscrit dans la longue liste des migrations forcées qui marquent la région du Moyen-Orient à chaque nouvelle crise géopolitique. Elle est aussi le fruit de relations migratoires plus longues, qui s'appuient sur des logiques plurielles, contribuant à redéfinir les frontières entre l'Irak, la Syrie et la Jordanie. Ces deux derniers pays accueillent aujourd'hui l'essentiel des Irakiens qui quittent leur pays depuis le changement de régime, et jouent un rôle central dans l'architecture actuelle de la diaspora irakienne. Après avoir retracé les différentes phases d'arrivées des Irakiens dans ces deux pays, la question de la gestion de ce flux migratoire est traitée en montrant les convergences et les spécificités propres des politiques d'accueil mises en place.

Emigration of Iraqis, which began in the 1990s, is among the long list of forced emigrations in the Middle East, which occur with each new geopolitical crisis. It is also the result of long-term migratory patterns that have contributed to the redefinition of the boundaries between Iraq, Syria and Jordan. Today, Syria and Jordan are the destination for the majority of Iraqis fleeing their country since the regime change and as such they play a key role in shaping the Iraqi diaspora. After outlining the different phases of Iraqi emigration to Syria and Jordan, this article studies the policies put in place to deal with the waves of immigration.

Résumé/Abstract
Deux grandes questions politico-juridiques structurent les relations des pays riverains de l'océan Arctique. La question du statut des passages arctiques diffère de la question des frontières maritimes dans l'Arctique, dont il sera question ici. Les médias relayent aujourd'hui, de façon récurrente, l'idée d'une course à la conquête des espaces maritimes arctiques. Cela fait plusieurs années que les pays riverains de l'Arctique préparent leurs dossiers destinés à étayer leurs arguments géologiques pour revendiquer des plateaux continentaux étendus. Ce n'est qu'en 2007 qu'une fièvre médiatique s'en est emparée, accréditant l'idée d'une course effrénée, alimentée par les changements climatiques pour la conquête des ressources naturelles de la région : une représentation très exagérée et peu conforme à la réalité tant historique que juridique.

Relations between nations bordering the Arctic are defined by two legal-political issues. The status of artic crossings is different from that of maritime borders, which is the subject of this article. The press repeatedly raises the specter of a race to conquer the Arctic Ocean. For several years the nations bordering the Arctic have been preparing their legal arguments in support of an extension of the continental shelf. It was only in 2007 that a media frenzy pushed the notion of a race to conquer, reinforced by a desire, in light of global warming, to exploit the areas’ natural resources. This picture is much exaggerated and does not conform to historical or legal reality.  

Enjeux de souveraineté

Résumé/Abstract
La question des frontières reste d'une brûlante actualité dans toute l'Asie du Sud, notamment entre l'Inde et le Pakistan, deux pays nés en même temps qu'une partition sanglante en 1947. Le principal litige frontalier qui les oppose se situe au Cachemire, théâtre d'une guerre qui a donné lieu en 1948 à une ligne de cessez-le-feu qui a été rebaptisée « line of control » en 1972 mais dont le statut n'est toujours pas celui d'une frontière internationale. L'enjeu du Cachemire est quasiment existentiel pour les deux pays. Pour l'Inde, garder dans son giron sa seule province à majorité musulmane est essentiel à sa qualité multiculturelle. Pour le Pakistan, tenir cette région dans ses frontières validerait sa prétention à servir de « homeland » aux Musulmans de l'Asie du Sud.

Borders are a burning issue in South Asia, notably between India and Pakistan, two countries created following a bloody partition in 1947. The contested border of most importance involves Kashmir where a battle in 1948 resulted in a “cease-fire line”, renamed “line of control” in 1972 but which does not have the legal status of an international border. The Kashmir challenge is almost existential for the two countries. For India, retaining its only Muslim-majority province is essential if it is to remain multicultural. For Pakistan, having this region within its borders would validate its claim to serving as a “homeland” for Muslims of South Asia.

Résumé/Abstract
La division des deux Corées est souvent considérée comme le dernier vestige de la guerre froide, vingt ans après l'effondrement de l'URSS et la fin de sa rivalité avec les États-Unis. Si l'antagonisme entre les deux blocs a indéniablement contribué à l'enracinement et au maintien de la division, cette dernière a aussi été structurée par des forces et des logiques qui, sans être étrangères à la guerre froide, la dépassaient et continuent aujourd'hui de s'exercer. Comprendre la frontière coréenne revient donc à s'aventurer par-delà la guerre froide, non seulement sur le plan chronologique mais également du point de vue de l'analyse afin de restituer le rôle des acteurs de premier plan que sont les deux Corées elles-mêmes et les autres puissances d'un ordre régional désormais multipolaire.

The division of the two Koreas is often seen as the last vestige of the Cold War twenty years after the collapse of the former Soviet Union and its rivalry with the United States. While the antagonism between these two blocks clearly contributed to, and solidified, the division of the two Koreas, this division was also the product of forces which, while related to the Cold War, go beyond it and continue today. Thus, to understand the North-South Korean border it is necessary to look beyond the Cold War to the role of regional actors, primarily the two Koreas but also the other regional powers.

La frontière sino-taiwanaise - Françoise Mengin
Résumé/Abstract
Avec l'avènement de la république populaire de Chine le 1er octobre 1949 et le repli concomitant des institutions de la république de Chine à Taiwan, la frontière sino-taiwanaise est, depuis lors, l'objet d'un contentieux multiforme, tant en ce qui concerne son tracé que son statut. Bien que Pékin ne soit pas parvenu à exercer son contrôle sur l'île de Taiwan, la frontière sino-taiwanaise n'est pas reconnue comme une frontière interétatique, ni par le régime chinois, ni par la communauté internationale. Pour autant, si le maintien du statu quo reste l'objectif prioritaire des dirigeants taiwanais, quel que soit le parti au pouvoir, les clivages partisans s'ordonnent autour de l'alternative réunification/indépendance. En outre, le vaste mouvement de délocalisation de l'industrie taiwanaise sur le continent a engendré un processus complexe d'ouverture de la frontière mais qui va de pair avec sa militarisation croissante.

The Sino-Taiwan border has been an issue, both in terms of its location and its legal status, since the creation of the PRC on October 1, 1949 and the establishment of the ROC in Taiwan. While Beijing has been unable to exert control over Taiwan, the Sino-Taiwanese border is not recognized either by the PRC or the international community, as a border between nation states. Maintaining the status quo is the primary objective of the Taiwanese authorities, regardless of who is in power. Partisan division exists however on the question of two possible alternatives—reunification or independence. Moreover, the significant delocalization of Taiwanese industry to the continent has spawned a complex process to open the border, which is accompanied by its increased militarization. 

Résumé/Abstract
La frontière indo-népalaise est des plus perméables. Chaque jour, elle est librement franchie par des milliers de Népalais et d'Indiens pour qui elle n'existe finalement que sur le papier. Les flux d'hommes et de marchandises, différentiellement régulés par des traités depuis 1950, sont ininterrompus de sorte que les deux pays sont intrinsèquement liés l'un à l'autre. Mais ces échanges se font principalement au bénéfice de l'Inde, qui par ce biais assoit sa domination sur le Népal. Dans la continuité de la politique himalayenne de l'Empire britannique, l'Inde considère en effet son voisin comme garant de sa propre sécurité. Dans ce contexte, l'ouverture des frontières va de pair avec une dépendance économique et politique du Népal vis-à-vis de son « grand frère » sud-asiatique.

The India-Nepal border is one of the most permeable. Every day it is crossed by thousands of Nepalese and Indians for whom it is a border only on paper. The flow of people and goods, subject to separate regulations since 1950, are uninterrupted, resulting in two interconnected nations. However, these exchanges primarily benefit India and thereby reinforce its domination of Nepal. In a continuation of the Himalayan policies of the British Empire, India considers its neighbor as a guardian of its own security. In this context, opening the border goes hand-in-hand with the economic dependency of Nepal on its South–Asian “big brother”.

Résumé/Abstract
Contrairement à l'opinion commune, les conflits de frontière ont été relativement rares sur le continent africain depuis les indépendances. Le conflit entre Érythrée et Éthiopie est de ce point de vue paradoxal. La question frontalière n'était qu'une des causes du conflit mais la médiation internationale en a fait la raison centrale. Ce conflit vise également pour certains à séparer, dans des structures étatiques, différentes un même groupe ethnique. Le conflit de frontière apparaît surtout comme un moment endogène de la construction étatique, même s'il met en lumière des dynamiques régionales.

Contrary to popular opinion border conflicts have been relatively rare on the African continent since independence. The conflict between Eritrea and Ethiopia is thus a paradox. The border issue was only one of the causes of the conflict but, as the focus of international mediation, it has become the primary one. For some the conflict involves the division of one ethnic group into two different nations. The border conflict is seen as part-and-parcel of state-building, even as it draws attention to regional dynamics.

Résumé/Abstract
Le sionisme a été fondamentalement un projet de recentrement géographique mais, qui, longtemps, a ignoré la question des frontières. Cette dernière ne s'est véritablement posée qu'avec la nécessité de défendre le territoire national fixé par la guerre de 1948. Un nouveau conflit, celui de 1967, devait la rouvrir, brutalement. Si certaines frontières ont été stabilisées depuis, il reste à tracer une limite politique avec le futur État palestinien. Son avènement marquerait du même coup l'achèvement étatique d'Israël.

Zionism is essentially a project focused on geography but which for many years ignored the issue of national borders. Borders only became an issue when it became necessary to defend the national territory created by the war of 1948. The conflict of 1967 brought the issue to the fore once again. While some of the borders have been set, political boundaries with a future Palestinian state are still to be determined. Doing so would at one and the same time establish the state of Israel.

Résumé/Abstract
Le conflit du Sahara Occidental apparaît comme le principal facteur de blocage dans la construction d'une intégration régionale. Pour la monarchie marocaine, il lui a permis de s'approprier le sentiment nationaliste alors porté par le mouvement de l'Istiqlal qui faisait de la cause du grand Maroc l'un de ses combats politiques. Pour le régime algérien, il a représenté un moyen de justifier le pouvoir d'une armée et d'entretenir le sentiment nationaliste. L'avantage du conflit saharien était évident : l'instauration, sous couvert d'un sentiment nationaliste, de régimes politiques autoritaires. Depuis une décennie, ce conflit « gelé » est bloqué à la fois par « le statut avancé » du Maroc avec l'UE, qui n'ose aborder ce problème et le retour de l'abondance financière en Algérie qui alimente son intransigeance sur le dossier.

The conflict in Western Sahara is the main stumbling block to the construction of an integrated region. The Moroccan monarchy used the conflict to gain the support of nationalists previously allied with the Istiqlal movement whose principal political goal was the creation of a greater Morocco. The Algerian regime used the conflict as a justification for a strong military and to stir up nationalist sentiment. The advantage of the Saharan conflict was obvious: the establishment, under the guise of nationalism, of authoritarian regimes. For a decade resolution of this  “frozen” conflict has been blocked by the EU’s unwillingness to address the issue in light of the “advanced status” of Morocco in the EU and by the increased intransigence of Algeria made possible by its renewed financial strength.

Résumé/Abstract
En avril 2009, la Bolivie et le Paraguay signent un traité de démarcation frontalière qui met fin à un contentieux frontalier né de la guerre du Chaco (1932-1935). Pour les deux seuls pays enclavés du continent américain, l'enjeu consiste désormais à réhabiliter une région frontalière qui a longtemps constitué un glacis. Malgré les projets d'intégration économique et de coopération bilatérale, la frontière reste un thème sensible, à l'origine de quelques tensions diplomatiques et militaires. Les deux pays devront outrepasser ces contretemps liés à la mémoire collective encore marquée par le conflit armé qui les a opposés. Sans quoi, le Chaco pourrait bien demeurer un angle mort dans les mégaprojets définis dans le cadre de l'intégration de la région sud-américaine (IIRSA) et rester un espace idéal pour les contrebandiers et les trafiquants.

In April 2009, Bolivia and Paraguay signed a treaty establishing their border, ending a dispute born of the war of Chao (1932-1935). For the two land-locked countries of the American continent the challenge was to establish a border region which had long been a buffer zone. Despite economic integration and bilateral cooperation, the border remains a sensitive issue and has been the source of diplomatic and military tension. The two countries must surpass these difficulties stemming from the collective memory of the armed conflict between them. Otherwise Chao will remain the stumbling block to the megaprojects of South American regional integration (IIRSA) and borders will remain an ideal place for smugglers and drug traffickers.

COUP D'OEIL Le retour de la revendication maritime bolivienne - Laetitia Perrier-Bruslé

La frontière dépassée

Résumé/Abstract
Une diaspora est une construction communautaire et identitaire particulière, issue de plusieurs phases de dispersion, ou de différents types de migrations et de la combinaison de plusieurs identités, liées aux différents pays d'accueil et au pays d'origine. Elle a une existence propre, en dehors de tout État, s'enracine dans une culture forte (religion, langue…) et des temps longs. Le modèle hybride a-centré de la diaspora noire des Amériques n'a pas de noyau dur identitaire ni de continuité ou de tradition, mais des formations variables, en rupture, obéissant à une logique du métissage. On voit aujourd'hui apparaître de nouvelles formes de territorialités transnationales qui obéissent à d'autres logiques. Ce sont les communautés transnationales qui sont nées, dans la seconde moitié du XXe siècle, de la migration de travailleurs conservant leurs bases familiales dans leur État-nation d'origine et circulant entre cette base et un ou plusieurs pays d'installation.

A diaspora is a community with a particular identity. Its creation is the result of several phases and types of migration and combines several identities, each linked to the home country and to the several receiving countries. It has its own identity, separate from that of any state, and is rooted in cultural identity (religion, language…) and a long history. The hybrid model of the Black American diaspora lacks a strong unifying identity and traditions. Rather, it unites different backgrounds and is the result of their cross-fertilization. During the second half of the 20th century the migration of workers maintaining their family ties in their countries of origin and moving between them and the different countries where they find work has led to the creation of new form of transnational community.

Les immigrés sud-Caucasiens en fédération de Russie : des nouvelles minorités intermédiaires - Adeline Braux
Résumé/Abstract
Le grand mouvement d'échanges migratoires qui a eu lieu dans la période ayant immédiatement suivi la disparition de l'URSS a conduit à la constitution, sur le sol russe, de ce qu'on appelle désormais des « diasporas ». Pour les communautés immigrées arménienne, azerbaïdjanaise et géorgienne, le petit commerce demeure une voie d'intégration économique privilégiée, suscitant souvent des réactions d'hostilité dans la société russe. À bien des égards, elles font figure désormais de minorités intermédiaires, sortes de « tampons » entre les élites et les masses, d'autant plus que, depuis les années 2000, le curseur des griefs faits habituellement aux immigrés, semble s'être déplacé vers les migrants originaires d'Asie centrale. Contrairement à ces derniers, les ressortissants des pays du Sud-Caucase peuvent toutefois compter sur l'appui de leurs pays d'origine qui ont développé, à des degrés divers, des politiques à destination de leurs émigrés.

The mass migration following the collapse of the former Soviet Union led to the establishment in Russia of what are known as “diaspora”. For the Armenian, Azerbaijani and Georgian immigrant communities small store ownership was the most common path to economic integration and it raised hostilities among Russian society. In many ways they served as intermediaries between the elites and the masses, ever more so as anti-immigrant sentiment became focused on those of Central Asian origin. Unlike these latter, South Caucasians can count on the support of their homelands, the governments of which have developed emigration policies.

Les flux migratoires légaux et illégaux - Catherine Wihtol de Wenden
Résumé/Abstract
Avec la mondialisation des migrations et les politiques de contrôle renforcé des frontières mises en place par la plupart des pays d'arrivée, de nombreux flux migratoires sont devenus illégaux. Les causes en sont multiples : difficulté des pays d'accueil à reconnaître qu'ils manquent de main-d'oeuvre dans les secteurs non qualifiés, souvent pourvus par des sans papiers, crise du droit d'asile où 80% des demandeurs sont aujourd'hui déboutés, laissant dans la clandestinité le plus grand nombre, envie d'ailleurs de nombreux jeunes scolarisés, informés et sans emploi au sud dont la traversée clandestine passe pour une odyssée. Aussi, la distinction des migrations entre flux légaux et illégaux est-elle devenue particulièrement pertinente car du statut découlent les conditions de circulation, d'installation et d'entrée sur le marché du travail.

With the globalization of migration and the strict controls put in place by destination countries much migration has become illegal. The causes are many: the failure of destination countries to acknowledge that they need unskilled labor, positions often filled by undocumented workers, a crisis in refuge rights in which 80% of those seeking refuge status are turned down, forcing most of them underground, and the desire by large numbers of well-educated students unable to find work at home to go abroad and for whom working underground is seen as just part of the journey. In addition, the distinction between a legal and an illegal migrant is ever more important as it affects the right to travel, to settle and to work.

Résumé/Abstract
Après avoir illustré comment la science économique envisage l'enjeu spatial, on analyse l'innovation majeure apportée par la globalisation : là où le commerce international se heurtait à un « effet-frontière » relativement identifiable et linéaire (un tarif douanier), il est avant tout confronté aujourd'hui à des obstacles territoriaux. Ainsi, accroître les échanges internationaux demande de négocier sur les règles du jeu internes à chaque économie : droit de la concurrence, du travail, de la consommation, de l'environnement, etc. De fait, ceci met en question la construction progressive de ces économies et de leur armature institutionnelle, sur les décennies et parfois les siècles passés. C'est la rencontre de l'histoire et de la géographie. Et parce que redessiner les frontières demande donc de renégocier la constitution civile des marchés, au plan interne, l'économie politique de la libéralisation devient elle-même beaucoup plus complexe. Après avoir analysé la réponse européenne à ce dilemme régulation interne / ouverture externe, on identifie trois principes génériques de coordination par lesquels envisager la renégociation des frontières : le traité international, la reconnaissance mutuelle des normes, et l'hégémonie.

We begin by describing the way in which economists see the spatial challenge. We then analyze a major development brought about by globalization: whereas international commerce was previously impeded by identifiable, linear border barriers (customs duties), today it faces inside-the-border barriers. Thus, increasingly negotiations focus on domestic laws and regulations: competition policies, labor laws, consumer rights, environmental laws and policies, etc. This challenges the economic and institutional constructs put in place over decades and sometimes centuries. It is the clash of history and geography. And because designing borders requires a renegotiation of domestic economic policies and laws, economic liberalization has become more complicated. Following an analysis of the European response to the conflict between internal regulation and market opening we identify three generic principles for guiding the renegotiation of borders: the international treaty, the mutual recognition of norms, and hegemony.