L'impuissance paradoxale du « soft power » de la Chine post-Mao

Par Stéphanie BALME
Comment citer cet article
Stéphanie BALME, "L'impuissance paradoxale du « soft power » de la Chine post-Mao", CERISCOPE Puissance, 2013, [en ligne], consulté le 23/04/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/puissance/content/part4/l-impuissance-du-soft-power-chinois

La Chine n’a jamais été une puissance conquérante au sens européen. Sa civilisation n’a pas été animée du désir de puissance comme les fondateurs des Etats modernes occidentaux, nés dans le creuset de l’Europe médiévale.A l’époque de l’Empire chinois, l’assimilation des cultures périphériques s’imposait grâce à l’influence du mandat du ciel. Sa puissance n’était pas le fruit de sa volonté mais d’une évidence quasi « naturelle ». Aujourd’hui, que nous dit la civilisation vivante la plus ancienne du monde ?

Jusqu’à présent, la Chine est « trois fois muette », soutient le sinologue Jean-François Billeter car elle « ne parle ni de son présent, ni de son histoire récente, ni de son passé pris dans sa totalité ». Très américanisée en apparence, la Chine reste plus influencée par le soft power de l’Occident que l’inverse. « La Chine est de plus en plus présente dans le monde, poursuit-il, mais elle est en même temps comme absente. Nous n’entendons pas sa voix ». Selon lui, « certaines choses ne sont pas dites […] parce qu’elles ne sont pas conçues – ni en Chine, ni ailleurs » (Billeter 2000). Loin de contester l’ordre du monde, la Chine veut avant tout s’y conformer. Pour l’heure, la culture chinoise n’est pas en mesure de former une arme géopolitique ou même diplomatique.

La Chine ne pourra pas disposer de soft power attractif durable tant qu’elle voudra l’imposer, d’une part, et tant qu’elle n’aura pas fait ce travail nécessaire d’introspection historique d’autre part. Comment la RPC peut-elle baser sa diplomatie culturelle sur des instituts dont le symbole, Confucius, fait si peu consensus au sein de la société, du parti ? Il n’est qu’à voir l’émotion suscitée par la statue de Confucius placée devant le musée d’histoire nationale inauguré en 2011, puis retirée à la suite d’une campagne de protestations véhémentes de la part d’internautes qui s’étaient scandalisés de voir le vieux sage intronisé protecteur du patrimoine culturel de la Chine socialiste. Confucius n’apparaît pas plus sur les billets de banque qu’en première page des manuels d’histoire scolaires. Personne n’imaginerait voir son portrait grandeur nature sur la façade de la Cité interdite devant le monument des héros de la Révolution, les martyrs fondateurs du parti, la jeunesse sacrifiée du 4 mai 1919. C’est là l’un des signes les plus marquants de l’impuissance paradoxale du soft power chinois.