Stéphanie BALME,
"L'impuissance paradoxale du « soft power » de la Chine post-Mao",
, 2013, [en ligne], consulté le
11/10/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/puissance/content/part4/l-impuissance-du-soft-power-chinois
La Chine en tant qu’Etat-nation exprime aujourd’hui un désir de soft power qui n’a pas d’équivalent dans son histoire. Et ce, pour deux raisons essentielles. D’une part, l’Empire chinois a toujours été largement indifférent aux civilisations extérieures à l’Empire. D’autre part, sa participation au monde est orientée vers des préoccupations internes, notamment de type cohésion nationale. Dit autrement, la participation de Pékin aux évènements planétaires comme les Jeux olympiques en 2008 ou l’exposition universelle de 2010 à Shanghai sont moins des opérations d’intégration au sein de la communauté internationale qu’une façon d’afficher auprès de sapropre population les potentialités du pays et l’union de sa population autour d’un objectif national commun.
Cet objectif a été atteint : la Chine a terminé en tête du classement avec cent médailles au total (dont cinquante-et-une en or, vingt-et-une d’argent et vingt-huit de bronze) détrônant les Etats-Unis. La cérémonie d’ouverture du 8 août 2008 a également représenté la première occasion pour la Chine de se raconter elle-même face aux autres nations du monde. Le cinéaste Zhang Yimou a déclaré qu’ayant 50 minutes pour présenter 5 000 ans d’histoire en se concentrant sur les rudiments d’un manuel scolaire d’histoire de Chine, il a privilégié les clichés les plus répandus sur la culture chinoise que sont les grandes inventions, les arts martiaux, Confucius, la calligraphie, le thé, etc. Absolument parfaite sur le plan esthétique, elle a beaucoup flatté les principes du despotisme oriental, la dimension prétendument holiste de la société chinoise en mettant en scène des milliers de figurants reproduisant à l’identique, à la seconde près, une chorégraphie complexe. Le pouvoir a aussi voulu mettre en avant l’image d’un pays stable, pacifique et civilisateur qui, malgré les expéditions vers l’Afrique des explorateurs chinois du XIVe et XVe siècle, n’avait jamais colonisé aucune nation, contrairement à ce que laisse entendre les critiques occidentales concernant sa présence au Tibet.
Le cinéaste Zhang Yimou a suivi à la ligne le canevas initial très hollywoodien conçu par l’américain Steven Spielberg, qui s’était finalement retiré, au printemps 2008, pour protester contre la position de la Chine dans la guerre au Darfour. A aucun moment des cérémonies de clôture et d’ouverture des Jeux n’ont été mises en scène les multiples facettes de la culture populaire contemporaine chinoise qui sont un mélange de tradition postimpériale, socialiste et postsocialiste, mais résolument vivante. De l’aveu même de Zhang Yimou, la mise au point du spectacle a été marquée par des allers et retours incessants avec les services de propagande du parti communiste.
L’exposition universelle de 2010 à Shanghai avait pour slogan : « Une meilleure ville, une meilleure vie ».Son logo représentait le caractère « shi », qui signifie « le monde », calligraphié de telle manière qu’il puisse représenter trois personnes unies. La mascotte de l’exposition (Haibao) avait la forme du caractère qui signifie un « être humain » (ren). Pour l’occasion, un magnifique pavillon avait été bâti (le plus grand et le plus coûteux de tous), nommé la « couronne de l’Orient ». Imposante bâtisse de 70 m de haut, peinte de sept variantes de rouge, synthèse de classicisme architectural impérial et de modernité clinquante, inspirée des anciennes couronnes des empereurs de Chine, le bâtiment s’imposait au cœur des autres pavillons d’une manière qui a été largement critiquée, y compris par l’opinion publique chinoise éclairée. A nouveau, vu de Chine, il s’agissait pour Shanghai de renouer avec son prestige passé, d’affirmer une image entreprenante mais aussi une volonté d’affirmation politique au sein des institutions de la RPC en organisant un évènement qui ferait date dans l’histoire des expositions universelles. Cet exemple conforte la part d’enjeux proprement nationaux de la question du soft power chinois.