Stéphanie BALME,
"L'impuissance paradoxale du « soft power » de la Chine post-Mao",
, 2013, [en ligne], consulté le
10/10/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/puissance/content/part4/l-impuissance-du-soft-power-chinois
En grande partie en raison de la rigidité de son système politique, le gouvernement de la RPC recourt à un dispositif très classique en matière de diplomatie publique et culturelle. Peu d’agences culturelles du secteur réellement privé ou paraétatique travaillent en partenariat avec l’Etat chinois même si quelques premières initiatives sont à observer dans ce domaine et si, par ailleurs, la politique culturelle de la Chine à l’international est déjà calée sur une logique de marché. En 2006, la Chine ne détenait que 1,5 % du marché global des produits culturels contre 40 % pour les Etats-Unis. L’ambition officiellement affichée est d’équilibrer voire même de renverser cette tendance.
La langue est un attribut indéniable du soft power d’un pays. Malgré un contexte culturel favorable au développement des études de langue et civilisation chinoises, l’enseignement du mandarin (putonghua) en France ne s’est réellement développé, au-delà des projets pilotes ou expérimentaux, que depuis les années 2000. Ce rattrapage tardif s’avère toutefois spectaculaire. Le rapport 2011 sur l’enseignement du chinois, tel qu’il a été rendu public par l’inspecteur général de chinois, le linguiste Joël Bellassen, indique que la France compte désormais « 25 départements universitaires dispensant un enseignement long […], soit un total de 5 000 étudiants de spécialité environ ; 150 universités, instituts et grandes écoles [qui] dispensent des cours de chinois […]. Sans compter l’apparition des premières classes bi-langues « chinois-anglais ». En France, les trois quarts des étudiants sinisants du supérieur étudient une autre matière que la langue chinoise, ce qui est un signe de la valeur d’usage attribuée au chinois.
Le site internet de l’Association française des professeurs de chinois propose une carte de France interactive sur laquelle figure la liste des écoles élémentaires, collèges et lycées qui délivrent un enseignement de chinois, du niveau LV1 au niveau LV3. Cette liste est remarquable au regard des possibilités d’enseignement offertes sur l’ensemble du territoire. On constate une augmentation considérable de l’offre de cours en chinois au détriment d’autres départements de langues européennes comme l’allemand, l’italien ou même le russe. Par ailleurs, le nombre d’élèves optant pour le chinois en LV1 est en constante augmentation. Notons que ce phénomène n’est pas exclusivement hexagonal. En Italie, par exemple, l’enseignement du français est aujourd’hui directement concurrencé par l’offre de cours de chinois. Au-delà des résultats statistiques, une enquête plus fine montrerait l’écart immense qui existe entre les souhaits de connaissance en chinois des élèves d’aujourd’hui et l’archaïsme au niveau du style, des sujets et des méthodes d’apprentissage du mandarin. Souvent encore enseigné comme une langue morte à partir de manuels qui s’appliquent à aborder des thèmes désuets comme les sentences de Confucius, le mandarin est généralement complété par des activités manuelles ou des cours de cuisine. Il faut beaucoup de sérieux, de passion véritable et d’engagement pour motiver adolescents et jeunes adultes qui baignent facilement dans des cultures anglo-saxonne et sud-coréenne vivantes pour poursuivre des études de chinois dans une atmosphère aussi surannée, anachronique.
Au-delà de l’offre d’apprentissage dans le contexte scolaire, l’autre grande nouveauté concerne l’apparition puis la multiplication des centres culturels chinois et des Instituts Confucius (IC) dans le monde. Organisés sur le modèle des Alliances françaises ou des Instituts français qui sont chapeautés par le ministère des Affaires étrangères, des écoles du British Council, des Instituts Cervantès espagnol ou encore des Goethe Institute allemands, les Instituts Confucius visent à « promouvoir la culture chinoise, la sinologie et les dialogues entre les civilisations ». Fonctionnant toujours en partenariat avec une université locale, les Instituts Confucius sont sous la direction du bureau de la Commission pour la diffusion de la langue chinoise ou Hanban, structure elle-même dépendante du ministère de l’Education chinois. Depuis l’inauguration de la première structure à Séoul en novembre 2004 (en réalité, un premier institut pilote avait été établi à Tachkent en Ouzbékistan), on compte en 2013 près de 400 Instituts Confucius.
Depuis 2010, de nouveaux principes généraux inscrits dans les chartes des IC indiquent que « leurs fonctions doivent être de développer les capacités linguistiques, l’étude de textes anciens, et en particulier de développer la sinologie classique, réaliser des activités de papier découpé, proposer des cours de cuisine, d’acupuncture, d’arts martiaux, de ping-pong […] et éventuellement de faciliter les échanges économiques ». En Europe, on comptait quarante-quatre Instituts Confucius en 2012 (essentiellement au Royaume-Uni, en Russie, en Italie et en France, avec des structures à Paris VII, Paris-Nanterre, l’Université de la Rochelle, à Strasbourg et en Bretagne). Jusqu’en 1999, aucune université américaine appartenant au prestigieux groupe de la Ivy League ne disposait d’un Institut Confucius. Les projets initiés à Stanford et Columbia avaient suscité de nombreuses réactions négatives. Par crainte d’une censure contre la liberté académique voire même d’affaires d’espionnage, les prestigieuses universités de Melbourne et Chicago ont refusé l’établissement d’Instituts Confucius. Sur le continent africain, les IC sont concentrés en Afrique du Sud, au Kenya et au Nigéria, généralement dans les régions où les investissements chinois sont les plus prometteurs. Une étude reste à faire sur les caractéristiques des modes de gestion et de management croisés, des processus de décision et des agendas politiques qui souvent se chevauchent, entre des intérêts éducatifs d’un côté et paradiplomatiques de l’autre.