Jean LECA,
"« Soft power ». Sens et usages d'un concept incertain",
, 2013, [en ligne], consulté le
10/10/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/puissance/content/part2/soft-power-sens-et-usages-d-un-concept-incertain
A l’origine du concept popularisé pour la première fois au temps de la guerre froide par Joseph Nye, alors membre du camp des « chouettes », oiseaux de la sage Minerve s’opposant à la fois aux « faucons » et aux « colombes », le pouvoir est entendu comme les ressources dont use une unité politique pour faire « plier » les autres dans des situations où n’existe en principe aucun organe supranational prétendant au monopole de la contrainte physique légitime ni aucun système juridictionnel réglant les conflits de manière autorisée sans avoir reçu au préalable le consentement des parties en litige. Ces ressources permettent à chaque unité de promouvoir ses buts « de possession » (un gain tangible au détriment de l’autre partie) ou « de milieu » (la modification du contexte de la lutte pour le rendre plus favorable à la partie intéressée) (Wolfers 1962), que ceux-ci consistent en un avantage décisif ou en l’assurance que « l’autre » ou « les autres » n’obtiendront pas cet avantage au détriment de la partie intéressée. Le soft power mobilise toutes les ressources disponibles : prêts conditionnés, menaces de sanctions économiques internationales (dont les Etats-Unis firent largement usage à partir de 1945 puisque 70 % d’entre elles furent prises à leur initiative), boycott, gel des avoirs, saisie des biens des gouvernants individuels, gel des négociations (ces deux derniers moyens ont été envisagés par l’Union européenne (UE) en 2013 vis-à-vis de l’Ukraine pour inciter cet Etat à libérer les membres de l’opposition), gel des relations diplomatiques (avec toutefois le maintien d’une ligne de communication minimale), etc. La panoplie est large mais exclut toute action militaire ou menace d’une telle action. Relevant du hard power, celle-ci ne peut être conçue que comme une ultima ratio face à une agression directe contre l’unité politique intéressée et ses alliés, la question de la réaction à ce dernier type d’attaque étant cause d’incertitudes dans les relations de la puissance dominante de l’alliance à ses alliés qui craignent d’être sacrifiés aux intérêts de celle-ci. Ces deux concepts, apparemment aux antipodes (ce qui reste à voir), sont donc à la fois « descriptifs » et « prescriptifs » d’actions.