Philippe COPINSCHI,
"La fin du pétrole : mythe ou réalité ?",
, 2014, [en ligne], consulté le
15/10/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/environnement/content/part2/la-fin-du-petrole-mythe-ou-realite
Le pétrole est la source d’énergie de la quasi-totalité des transports routiers, aériens et maritimes. Grâce à lui, les villes se sont étendues, le commerce international se fait à prix modique et voyager n’a jamais été si facile. La disponibilité de pétrole à prix réduit rend les transports peu coûteux, encourageant ainsi les processus de délocalisation constitutifs de la mondialisation économique.
Pendant longtemps, il n’a pas été question de s’inquiéter de l’état des réserves de pétrole puisqu’il était entendu que le perfectionnement des techniques de prospection et de production permettrait la découverte et la mise en valeur de nouveaux gisements. Mais depuis quelques années, la question de l’épuisement à venir des ressources se pose en creux et la tendance générale est aujourd’hui davantage portée au pessimisme. La demande mondiale de pétrole a aujourd’hui rattrapé les capacités de production qui conditionnent l’offre, poussant structurellement le prix du pétrole à la hausse (ce qui n’empêche pas des mouvements de yo-yo, à l’image de la baisse spectaculaire du prix enregistrée fin 2014). Surtout, certaines zones de production comme la mer du Nord sont d’ores et déjà entrées en déclin à cause du tarissement des puits. A quelques rares exceptions près, les nouvelles ressources découvertes dans le monde nécessitent d’importants investissements et posent des défis techniques inédits, notamment dans l’offshore profond (voir la contribution de Frédéric Lasserre, « La géopolitique de l’Arctique : sous le signe de la coopération »).
Dispose-t-on à l’échelle mondiale de quantités suffisantes de pétrole pour satisfaire les besoins actuels et futurs, en tenant compte de la hausse prévisible de la consommation dans les pays émergents ? Si non, n’y a-t-il pas un risque de voir les Etats sombrer dans une quête violente pour l’appropriation des ultimes gouttes d’or noir ?
La réponse à la première question semble simple. Le pétrole, tout comme le gaz, est le résultat de la décomposition et de la transformation de matières organiques sur plusieurs millions d’années. C’est donc sans conteste une ressource non renouvelable et l’offre absolue de pétrole est donc, par nature, limitée. Pour autant, la demande mondiale de pétrole n’a jamais cessé d’augmenter : la consommation s’est certes stabilisée dans les pays industrialisés après les chocs pétroliers des années 1970, mais les économies émergentes ont depuis lors pris le relais comme moteur de croissance du marché. Or, après la période faste des découvertes majeures de nouveaux gisements, entre les années 1930 et 1960, la planète semble s’être asséchée ; depuis une trentaine d’années, le rythme des découvertes est largement inférieur à celui de la consommation. Dans ces conditions, il est certain que la tendance ne peut se poursuivre indéfiniment. C’est à partir du constat de ce décalage entre une offre par nature limitée et une demande qui ne cesse de croître que s’élaborent les discours les plus pessimistes sur l’évolution de la scène pétrolière et énergétique (Campbell 1997, 2005 ; Bauquis 2005).
La thèse de l’inévitable pénurie pétrolière repose sur un certain nombre d’axiomes d’autant moins volontiers critiqués que l’instrumentalisation politique de ces discours alarmistes est souvent de mise. Les prédictions pessimistes sur l’épuisement des ressources de pétrole s’appuient sur une double hypothèse, rarement remise en cause : d’une part, la demande va croître inéluctablement avec le développement économique des pays émergents (dont les deux géants démographiques, l’Inde et la Chine) et, d’autre part, l’offre ira en s’amenuisant dans un avenir relativement proche (à titre d’illustration, voir le blog « Oil Man. Chronique du début de la fin du pétrole »). A cela s’ajoute, comme conséquence directe de la seconde hypothèse, une dernière « certitude », largement partagée dans les milieux pétroliers, que la dépendance à l’égard des pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) (et particulièrement du Moyen-Orient où sont situées les plus grandes réserves et où les coûts de production sont les plus faibles) pour l’approvisionnement mondial ne peut qu’augmenter sensiblement. En dehors du Moyen-Orient (qui renfermerait les deux tiers des réserves mondiales), seuls le Venezuela (membre de l’OPEP), le Canada et la Russie affichent des réserves importantes.
Les craintes géopolitiques portent également sur l’appropriation des ressources dans un éventuel contexte de pénurie. Le scénario le plus redouté est que le manque de pétrole disponible exacerbe les tensions entre les différents pays consommateurs jusqu’à les mener à des conflits armés, voire pousse les pays importateurs à envahir les pays producteurs pour s’approprier leur production. La Chine en particulier inquiète les stratèges des pays occidentaux qui voient dans le développement des besoins énergétiques et surtout pétroliers chinois l’émergence d’une menace pour l’équilibre géostratégique mondial (US DoD 2008 ; Froggatt et Lahn 2010 ; Zentrum fur Transformation 2010).
Cette vision d’inspiration réaliste est en grande partie alimentée par les tenants de la théorie du pic pétrolier qui affirment l’imminence de l’épuisement des réserves et du déclin inéluctable de la production de pétrole. Pourtant, si tout le monde s’accorde pour reconnaître que le pétrole est bien une ressource épuisable, sa disponibilité ne cesse d’augmenter, comme en témoigne la croissance continue des réserves depuis le début de l’industrie pétrolière à la fin du XIXe siècle. Ressource épuisable, le pétrole n’a jamais été produit en aussi grande quantité (85 millions de barils par jour en 2012) et ses réserves n’ont jamais été aussi grandes avec 1 650 milliards de barils, soit plus de cinquante ans de production actuelle (BP 2014). Pour comprendre cet apparent paradoxe, il importe d’adopter une approche pluridisciplinaire des questions pétrolières mêlant économie, politique et géologie. Restreindre la réflexion à une seule de ces disciplines, comme c’est malheureusement souvent le cas, conduit à une impasse intellectuelle, porteuse d’analyses erronées débouchant sur des conclusions potentiellement dangereuses lorsqu’elles deviennent prescriptives d’actions politiques.