Philippe COPINSCHI,
"La fin du pétrole : mythe ou réalité ?",
, 2014, [en ligne], consulté le
15/10/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/environnement/content/part2/la-fin-du-petrole-mythe-ou-realite
Le pétrole est la source d’énergie de la quasi-totalité des transports routiers, aériens et maritimes. Grâce à lui, les villes se sont étendues, le commerce international se fait à prix modique et voyager n’a jamais été si facile. La disponibilité de pétrole à prix réduit rend les transports peu coûteux, encourageant ainsi les processus de délocalisation constitutifs de la mondialisation économique.
Pendant longtemps, il n’a pas été question de s’inquiéter de l’état des réserves de pétrole puisqu’il était entendu que le perfectionnement des techniques de prospection et de production permettrait la découverte et la mise en valeur de nouveaux gisements. Mais depuis quelques années, la question de l’épuisement à venir des ressources se pose en creux et la tendance générale est aujourd’hui davantage portée au pessimisme. La demande mondiale de pétrole a aujourd’hui rattrapé les capacités de production qui conditionnent l’offre, poussant structurellement le prix du pétrole à la hausse (ce qui n’empêche pas des mouvements de yo-yo, à l’image de la baisse spectaculaire du prix enregistrée fin 2014). Surtout, certaines zones de production comme la mer du Nord sont d’ores et déjà entrées en déclin à cause du tarissement des puits. A quelques rares exceptions près, les nouvelles ressources découvertes dans le monde nécessitent d’importants investissements et posent des défis techniques inédits, notamment dans l’offshore profond (voir la contribution de Frédéric Lasserre, « La géopolitique de l’Arctique : sous le signe de la coopération »).
Dispose-t-on à l’échelle mondiale de quantités suffisantes de pétrole pour satisfaire les besoins actuels et futurs, en tenant compte de la hausse prévisible de la consommation dans les pays émergents ? Si non, n’y a-t-il pas un risque de voir les Etats sombrer dans une quête violente pour l’appropriation des ultimes gouttes d’or noir ?
La réponse à la première question semble simple. Le pétrole, tout comme le gaz, est le résultat de la décomposition et de la transformation de matières organiques sur plusieurs millions d’années. C’est donc sans conteste une ressource non renouvelable et l’offre absolue de pétrole est donc, par nature, limitée. Pour autant, la demande mondiale de pétrole n’a jamais cessé d’augmenter : la consommation s’est certes stabilisée dans les pays industrialisés après les chocs pétroliers des années 1970, mais les économies émergentes ont depuis lors pris le relais comme moteur de croissance du marché. Or, après la période faste des découvertes majeures de nouveaux gisements, entre les années 1930 et 1960, la planète semble s’être asséchée ; depuis une trentaine d’années, le rythme des découvertes est largement inférieur à celui de la consommation. Dans ces conditions, il est certain que la tendance ne peut se poursuivre indéfiniment. C’est à partir du constat de ce décalage entre une offre par nature limitée et une demande qui ne cesse de croître que s’élaborent les discours les plus pessimistes sur l’évolution de la scène pétrolière et énergétique (Campbell 1997, 2005 ; Bauquis 2005).
La thèse de l’inévitable pénurie pétrolière repose sur un certain nombre d’axiomes d’autant moins volontiers critiqués que l’instrumentalisation politique de ces discours alarmistes est souvent de mise. Les prédictions pessimistes sur l’épuisement des ressources de pétrole s’appuient sur une double hypothèse, rarement remise en cause : d’une part, la demande va croître inéluctablement avec le développement économique des pays émergents (dont les deux géants démographiques, l’Inde et la Chine) et, d’autre part, l’offre ira en s’amenuisant dans un avenir relativement proche (à titre d’illustration, voir le blog « Oil Man. Chronique du début de la fin du pétrole »). A cela s’ajoute, comme conséquence directe de la seconde hypothèse, une dernière « certitude », largement partagée dans les milieux pétroliers, que la dépendance à l’égard des pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) (et particulièrement du Moyen-Orient où sont situées les plus grandes réserves et où les coûts de production sont les plus faibles) pour l’approvisionnement mondial ne peut qu’augmenter sensiblement. En dehors du Moyen-Orient (qui renfermerait les deux tiers des réserves mondiales), seuls le Venezuela (membre de l’OPEP), le Canada et la Russie affichent des réserves importantes.
Les craintes géopolitiques portent également sur l’appropriation des ressources dans un éventuel contexte de pénurie. Le scénario le plus redouté est que le manque de pétrole disponible exacerbe les tensions entre les différents pays consommateurs jusqu’à les mener à des conflits armés, voire pousse les pays importateurs à envahir les pays producteurs pour s’approprier leur production. La Chine en particulier inquiète les stratèges des pays occidentaux qui voient dans le développement des besoins énergétiques et surtout pétroliers chinois l’émergence d’une menace pour l’équilibre géostratégique mondial (US DoD 2008 ; Froggatt et Lahn 2010 ; Zentrum fur Transformation 2010).
Cette vision d’inspiration réaliste est en grande partie alimentée par les tenants de la théorie du pic pétrolier qui affirment l’imminence de l’épuisement des réserves et du déclin inéluctable de la production de pétrole. Pourtant, si tout le monde s’accorde pour reconnaître que le pétrole est bien une ressource épuisable, sa disponibilité ne cesse d’augmenter, comme en témoigne la croissance continue des réserves depuis le début de l’industrie pétrolière à la fin du XIXe siècle. Ressource épuisable, le pétrole n’a jamais été produit en aussi grande quantité (85 millions de barils par jour en 2012) et ses réserves n’ont jamais été aussi grandes avec 1 650 milliards de barils, soit plus de cinquante ans de production actuelle (BP 2014). Pour comprendre cet apparent paradoxe, il importe d’adopter une approche pluridisciplinaire des questions pétrolières mêlant économie, politique et géologie. Restreindre la réflexion à une seule de ces disciplines, comme c’est malheureusement souvent le cas, conduit à une impasse intellectuelle, porteuse d’analyses erronées débouchant sur des conclusions potentiellement dangereuses lorsqu’elles deviennent prescriptives d’actions politiques.
La théorie du pic pétrolier ou la fin annoncée du pétrole
Face au constat d’une ressource non renouvelable dont la consommation dépasse les quantités découvertes, certains géologues, qualifiés de « pessimistes », estiment que la production mondiale de pétrole va inéluctablement atteindre d’ici quelques années un sommet appelé pic de production, puis commencer à décroître en raison de l’épuisement des réserves. Marion King Hubbert (1903-1989), un ancien géologue américain de Shell, fut le premier à théoriser cette idée. Selon lui, l’exploitation du pétrole suit une courbe en cloche dont le sommet correspond au pic de production. Constatant la diminution des découvertes pétrolières faites aux Etats-Unis à partir des années 1940, King Hubbert publia en 1956 une étude prévoyant que la production américaine de pétrole brut allait atteindre son pic de production au début des années 1970 (Hubbert 1956). Ces prédictions se sont avérées correctes, à ceci près qu’il n’avait pas envisagé que le développement de la production dans l’offshore profond du golfe du Mexique et dans des zones polaires d’Alaska puisse compenser en partie le déclin de la production. En 1972, les Etats-Unis produisaient 11,3 millions de barils par jour (Mb/j), avant de décliner à 6,8 Mb/j en 2008 ; depuis cette date, la production est repartie à la hausse (10 Mb/j en 2013), du fait du développement du pétrole non conventionnel, également ignorée à l’époque par King Hubbert (BP 2014).
Ailleurs dans le monde, le phénomène se répète. Malgré l’utilisation des technologies les plus modernes et la hausse tendancielle du prix du pétrole sur le marché mondial, la production décline depuis une dizaine d’années en mer du Nord (Royaume-Uni, Norvège) ainsi qu’en Indonésie (d’où la suspension de sa participation à l’OPEP en 2009). C’est aussi le cas du Mexique, qui connaît un déclin rapide, mais dans un contexte politico-pétrolier très particulier où se mélangent un fort protectionnisme nationaliste anti-américain (qui prive le pays des capitaux et des technologies les plus avancées des compagnies internationales, raison pour laquelle le gouvernement de Peña Nieto a lancé la libéralisation du secteur pétrolier en 2014) et une forte corruption au sein de la compagnie publique Pemex. En étendant à l’ensemble du monde la méthode d’analyse de King Hubbert, d’aucuns estiment que le pic de production mondial devrait être atteint entre 2010 et 2020 (voir notamment le site de l’Association for the Study of Peak Oil and Gas, ASPO).
Ce discours pessimiste ne convainc pas tout le monde car par le passé, nombreuses ont été les prévisions alarmistes qui furent démenties par les faits. King Hubbert le premier avait estimé que la production mondiale allait atteindre son pic vers l’an 2000 (Hubbert 1956). Or ces prévisions se sont avérées fausses puisque la production pétrolière mondiale n’a cessé d’augmenter tout au long des années 2000 (sauf en 2008 où elle a légèrement baissé, non faute de réserves, mais parce que la crise financière et économique a fait chuter la demande).
L’opacité des statistiques des réserves
L’un des arguments-clés des pessimistes porte sur la fiabilité des statistiques des réserves. L’absence de données fiables découle en premier lieu du fait qu’elles procèdent, par définition, d’estimations. Ce n’est qu’a posteriori, lorsque tout le pétrole d’un gisement a été pompé, qu’il est possible de dire avec certitude la quantité qui s’y trouvait. Les statistiques des réserves ne sont donc pas de simples données scientifiques car elles possèdent une valeur commerciale voire politique importante, tant pour les compagnies pétrolières que pour les Etats producteurs. Très logiquement, de fortes divergences peuvent exister entre les estimations des différents organismes publiant des chiffres sur les réserves dans le monde (parfois du simple au double).
Les statistiques des réserves sont donc à prendre avec précaution. Dans les pays où les ressources sont sous le contrôle exclusif des compagnies d’Etat, celles-ci sont totalement libres de déclarer ce qu’elles veulent, sans expertise indépendante et sans sanction en cas de fausse déclaration. Même pour l’observateur peu averti, les statistiques des réserves dans les pays de l’OPEP sont d’ailleurs relativement suspectes car les chiffres ne varient quasiment pas d’une année à l’autre, comme si chaque baril produit était automatiquement remplacé par un nouveau baril découvert. Autre source de suspicion, la plupart des membres de l’OPEP ont, dans les années 1980, substantiellement augmenté leurs réserves faisant grimper le total mondial des réserves de 40 % en quelques années par un simple jeu d’écriture. Ces révisions sont intervenues au milieu des années 1980, lorsque la consommation mondiale de pétrole était en baisse à la suite des chocs pétroliers de 1973 et 1979 et que, pour limiter l’offre afin de maintenir le prix du baril à un niveau élevé, l’OPEP fut obligée de réduire sa production à travers un système de quotas attribués notamment en fonction de l’importance des réserves. Chacun avait intérêt à surévaluer les siennes pour se voir attribuer le plus haut quota possible.
Les compagnies privées sont également tentées de surévaluer les réserves. En 2003, la compagnie anglo-néerlandaise Shell fut obligée de réduire les siennes de 20 % (soit cinq milliards de barils) après avoir reconnu les avoir surévaluées. Actif essentiel dans le bilan d’une compagnie pétrolière, les réserves qu’elle possède représentent l’assurance d’une production future et, par conséquent, de futurs revenus. La valeur boursière d’une compagnie est donc directement liée au niveau de ses réserves. Bien que les règles de comptabilisation des réserves imposées aux compagnies cotées en bourse soient très strictes, celles-ci peuvent être tentées de surévaluer leurs réserves afin de faire grimper leur cours de bourse.
Limites de la théorie du pic pétrolier
Au-delà du débat sur les statistiques incertaines des réserves, le principal reproche fait à la théorie du pic pétrolier est de se focaliser exclusivement sur la contrainte géologique (c’est-à-dire l’épuisement de la ressource) en ignorant les contraintes politiques (l’accès aux réserves dans les pays producteurs) et en sous-estimant les facteurs économiques et technologiques, alors même que ce sont eux qui déterminent les stratégies d’investissement des compagnies, et donc la production (Mabro 2006).
Les discours alarmistes des tenants de cette théorie s’appuient essentiellement sur le cas concret des Etats-Unis. Mais le modèle de King Hubbert, développé pour rendre compte de la chronologie de l’épuisement des réserves pétrolières aux Etats-Unis, peut difficilement être généralisé à l’ensemble de la planète car les conditions politiques et économiques d’accès aux gisements sont radicalement différentes aux Etats-Unis et dans le reste du monde.
Le sous-sol américain est très bien connu des géologues, le pays ayant depuis longtemps bénéficié d’un nombre de forages de prospection sans équivalent ailleurs dans le monde. En bonne logique économique, les efforts de prospection ont prioritairement ciblé les zones dont les connaissances géologiques laissaient à penser que le potentiel pétrolier était élevé. Mais ce n’est pas le cas à l’échelle du monde où, à la suite des nationalisations intervenues dans les pays de l’OPEP dans les années 1970, les compagnies internationales se sont vues interdites d’accès aux zones les plus prometteuses, en particulier le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Or, ce sont ces compagnies qui investissent le plus dans la prospection, alors que les compagnies publiques des Etats producteurs se contentent souvent d’exploiter ce qui a été découvert avant les nationalisations. Que peu de découvertes y aient été faites depuis cette époque n’a donc rien d’étonnant et ne préjuge nullement de l’état actuel des ressources. Seules régions où l’accès à la ressource est totalement libre pour les compagnies pétrolières, l’Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada) et la Mer du Nord sont les seules zones où les bassins ont pu être explorés de manière quasi systématique. Ailleurs, il reste probablement de nombreux gisements à découvrir pour autant que l’exploration et la production puissent se faire avec les technologies les plus avancées dont seules disposent les compagnies internationales.
Les Etats-Unis sont un espace relativement homogène d’un point de vue juridique. Ailleurs dans le monde, les bassins pétroliers sont coupés par des frontières politiques et sont donc soumis à des règles d’exploitation différentes. Par conséquent, l’ordre dans lequel les champs sont mis en production à travers le monde répond beaucoup moins à des caractéristiques techniques (quantité et qualité du brut, coût de production) qu’à des considérations politiques. En raison du découpage étatique et de la souveraineté dont jouit chaque Etat, tous les gisements ne sont pas accessibles aux mêmes conditions juridiques. C’est pourquoi, contre toute logique économique, ce sont les zones peu compétitives comme la mer du Nord, l’Amérique du Nord, etc., qui sont exploitées en priorité, au détriment des pays de l’OPEP, où les réserves sont pourtant les plus grandes et les coûts de production plus faibles, mais qui s’imposent des limites de production.
Des réserves mondiales en hausse
A l’échelle du monde, la disponibilité des ressources d’énergie ne semble pas être une contrainte majeure et le risque de pénurie de pétrole due à l’épuisement physique des réserves ne semble pas immédiat. Même en établissant des pronostics optimistes sur la croissance économique de la Chine, de l’Inde et des autres pays en voie de développement fortement peuplés, la demande pétrolière mondiale devrait être satisfaite sans grande difficulté pendant encore des années (sauf en cas d’événements politiques paralysant une partie de la production quelque part dans le monde).
Pour le comprendre, il importe de distinguer les « ressources » des « réserves ». Les ressources représentent l’ensemble du pétrole contenu dans le sous-sol ; il s’agit donc d’une notion géologique. Elles existent en quantité finie et sont donc par nature épuisables. Les réserves représentent, de manière prospective, l’ensemble du pétrole qu’un gisement va produire jusqu’à son abandon, c’est-à-dire la totalité du pétrole qui sera effectivement extrait sur toute la durée de l’exploitation du gisement. Les ressources sont considérées comme des réserves lorsqu’elles ont été découvertes (c’est-à-dire identifiées dans un gisement connu) et qu’elles sont jugées économiquement et technologiquement récupérables. Les réserves ne sont donc pas une quantité définie une fois pour toutes, mais bien une quantité qui évolue au cours du temps en fonction de l’évolution des technologies disponibles pour extraire le pétrole du gisement, et du prix du pétrole. Plus le prix est élevé, plus la quantité récupérable de manière rentable est importante, et plus les réserves augmentent (Hansen et Percebois 2010).
L’amélioration des techniques d’exploration et de production entraîne un accroissement des réserves de trois manières. D’une part, par la découverte de nouveaux gisements dans des zones jusqu’alors inaccessibles (offshore profond, Arctique, etc.). D’autre part, par l’abaissement des coûts d’exploitation, qui peut rendre attractifs des gisements déjà identifiés, mais restés inexploités faute de rentabilité et de moyens techniques appropriés (c’est le cas des gisements de pétrole non conventionnel, connus depuis longtemps mais dont l’exploitation n’est devenue rentable que récemment). Enfin, par l’augmentation du taux de récupération, c’est-à-dire le rapport entre le volume de pétrole récupéré et le volume total contenu dans un champ au lancement de l’exploitation. Il est aujourd’hui d’environ 35 % en moyenne mondiale, contre 25 % en 1970. Plus que la découverte de nouveaux gisements, c’est en grande partie cette amélioration des taux de récupération dans les gisements déjà connus qui explique la stabilité du ratio réserves/production (environ cinquante ans en moyenne mondiale) au cours des dernières décennies.
L’augmentation du prix du pétrole et les progrès technologiques ont également permis, depuis une quinzaine d’années, de développer les immenses ressources de pétrole non conventionnel, en particulier au Canada, au Venezuela et aux Etats-Unis. Ce pétrole diffère du pétrole conventionnel par sa composition physique (d’une grande viscosité, il n’est pas à l’état liquide à température ambiante) et par l’ampleur des technologies nécessaires pour l’extraire. L’existence du pétrole non conventionnel est connue depuis longtemps mais il n’était pas comptabilisé dans les réserves car inexploitable. Désormais, grâce à la baisse des coûts de production conjuguée à la hausse du prix du baril et à la mise aux points de nouvelles techniques de production, le pétrole non conventionnel commence à être exploité et donc intégré dans les réserves de certains pays (Canada, Venezuela, etc.).
Sur le papier, les réserves potentielles de pétrole non conventionnel sont immenses. Mais des difficultés limitent significativement le débit de la production que l’on peut espérer atteindre à partir de ces réserves car la production de ce pétrole est particulièrement coûteuse, financièrement et d’un point de vue environnemental. Très énergétivore (l’équivalent de 0,5 à 0,7 barils de pétrole sont nécessaires pour produire un baril de pétrole non conventionnel), elle entraîne des dégâts environnementaux considérables (destruction de la forêt canadienne, utilisation d’énormes quantités d’eau qui, après usage, sont accumulées dans des bassins de décantation avant d’être déversées dans les rivières ou d’atteindre les nappes phréatiques qu’elles polluent abondamment) qui mobilisent une partie de l’opinion publique contre elle (Gordon 2012).
Si les avancées technologiques permettent de repousser les frontières de l’accès à la ressource et améliorent la production de pétrole, elles s’avèrent aussi de plus en plus coûteuses et énergétivores. La question de la disponibilité du pétrole à l’échelle mondiale renvoie donc de manière ultime à celle de son prix, car une augmentation substantielle du prix du pétrole entraîne quasi automatiquement une hausse des réserves. Au final, le prix est le principal régulateur de la demande mais aussi de l’offre, qui est directement fonction du prix puisque les compagnies pétrolières investissent pour mettre en place des capacités de production tant qu’elles pensent qu’il est rentable de le faire.
Le problème central de la théorie du pic de production pétrolière tient au fait qu’elle part de l’idée qu’il existe un stock fini de la ressource et qu’il importe donc d’évaluer ce stock pour prédire l’évolution de la production de pétrole et de son prix. Certains économistes de l’énergie estiment au contraire qu’il faut réfléchir en considérant qu’il existe un stock inconnu de pétrole à partir duquel des investissements en capacité de production permettent d’extraire un certain volume de production (Hansen et Percebois 2010 ; Maugeri 2012). Dans la logique économique et industrielle qui est celle des compagnies pétrolières, les quantités de pétrole exploitables sont bien évolutives, puisqu’elles sont fonction des technologies disponibles pour leur exploitation et du prix auquel la production peut être vendue. Ce qui importe pour une compagnie est de savoir si ses investissements d’exploration et de production sont rentables. Tant qu’ils le sont, ils continuent. Dans cette perspective, il se peut qu’il arrive, un jour, que les coûts de production soient structurellement supérieurs au prix de vente, par exemple parce que la rareté des gisements engendre un coût de production très élevé, ou encore parce que la demande décline ou que la fiscalité sur le CO2 rend les énergies fossiles moins rentables que les autres. Dans ce cas, les investissements cesseront et l’industrie disparaîtra, laissant sans réponse (et sans intérêt) la question de la quantité de pétrole restant dans le sous-sol. C’est ce qui est advenu de l’industrie charbonnière en France par exemple.
Le fait que le pétrole, au même titre que les autres énergies fossiles, soit une ressource finie ne doit pas induire en erreur. L’avenir du pétrole en tant que source d’énergie se jouera probablement moins en fonction de l’évolution de l’offre qu’en fonction de celle de la demande. C’est en grande partie son abondance, ses caractéristiques intrinsèques (facilité de stockage et de transport, propriétés thermodynamiques, etc.) et son prix modique qui expliquent l’importance prise par le pétrole dans les sociétés contemporaines. Le caractère stratégique du pétrole découle aujourd’hui encore de sa position de monopole dans le secteur des transports ; mais si des avancées technologiques permettent de défaire ce monopole, le pétrole perdra son importance stratégique puisqu’il pourra être remplacé par une autre source d’énergie. C’est le sort qu’a connu le charbon, pour lequel il existe des alternatives pour tous les usages qui en sont faits (production d’électricité, chaleur). Bien sûr, il n’existe pas d’alternative clé en main au pétrole. Toutes les solutions de rechange comportent de nombreux inconvénients d’ordre technique et/ou économique. Mais technologiquement, des alternatives au pétrole existent d’ores et déjà pour le transport routier, la tendance actuelle étant, surtout pour la voiture individuelle, à une progressive électrification. Leur généralisation dépendra du prix pour le consommateur, et donc en grande partie des politiques fiscales mises en place pour encourager (ou non) la transition vers un modèle économique libéré du pétrole.
S’il apparaît aujourd’hui nécessaire de se préparer à l’après-pétrole, c’est beaucoup moins en raison de l’épuisement supposé des réserves qu’à cause du dérèglement climatique dont l’usage du pétrole est en partie responsable. Les choix énergétiques ne sont donc pas seulement technologiques ; ils sont avant tout politiques. C’est probablement l’ampleur des impacts du réchauffement climatique qui déterminera le volontarisme dans la mise en place de politiques efficaces de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Comme l’a bien rappelé l’ancien ministre du Pétrole saoudien, Cheikh Ahmed Yamani, « l’âge de la pierre n’a pas pris fin par manque de pierre », mais parce que l’homme a fait des progrès scientifiques lui permettant de développer des technologies plus performantes. Ce n’est probablement pas par manque de pétrole que l’homme cessera d’en utiliser, mais parce que des alternatives plus performantes (notamment en termes de rendement énergétique, de pollution et d’émissions de gaz à effet de serre) seront mises au point et se généraliseront. Ce jour-là (2025 ? 2050 ? 2100 ?), alors que son utilisation comme source d’énergie sera progressivement abandonnée, il restera encore, selon toute vraisemblance, du pétrole sous terre ; en grande quantité ou pas, cela n’aura pas d’importance.
Références
• BAUQUIS P-R. (2005) Pétrole et gaz naturel : Comprendre l’avenir, Strasbourg, Editions Hirlé.
• BP (2014) BP Statistical Review of World Energy, juin 2014.
• CAMPBELL C. (1997) The Coming Oil Crisis, Brentwood, Multi-Science Publishing.
• CAMPBELL C. (2005) The Oil Crisis, Brentwood, Multi-Science Publishing.
• FROGGATT A., LAHN G. (ed.) (2010) « Sustainable Energy Security. Strategic Risks and Opportunities for Business », 360° Risk InsightWhite Paper, Lloyd’s and Chatham House, juin.
• GORDON D. (2012) « Understanding Unconventional Oil », The Canergie Papers, Energy and Climate, Canergie Endowment for International Peace, mai.
• HANSEN J-P., PERCEBOIS J. (2010) Energie. Economie et politiques, Bruxelles, De Boeck.
• HUBBERT M. K. (1956) « Nuclear Energy and Fossil Fuels », Drilling and Production Pratice, American Pertroleum Institute, 1956.
• MABRO R. (2006) « The Peak Oil Theory », Oxford Energy Comment, Oxford Institute for Energy Studies, septembre.
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• Zentrum fur Transformation der Bundeswehr (2010) « Peak Oil. Sicherheitspolitische Implikationen knappen Ressourcen », juillet.