Lidia PROKOFIEVA,
"Pauvreté et inégalités en Russie",
, 2012, [en ligne], consulté le
11/10/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/pauvrete/content/part5/la-pauvrete-et-l-inegalite-en-russie
La définition officielle de la pauvreté en Russie sert de critère pour les statistiques et de référence pour l’attribution des allocations sociales. On peut donc la considérer comme la définition d’une sorte de minimum vital. Or celui-ci n’est pas garanti dans le pays : l'aide sociale ne permet pas aux familles pauvres qui la perçoivent d'atteindre ce niveau.
Le système de protection sociale se caractérise par une très grande complexité : certaines formes d'aide héritées de l’époque soviétique ont été conservées et de nouvelles, rendues indispensables par l'expansion de la pauvreté, ont été créées. Il existe deux niveaux de responsabilité sociale :
Le niveau fédéral prend en charge :
- le système d’assurances sociales (retraites, allocation en cas d’incapacité temporaire au travail, allocation chômage,congé de maternité, etc.) ;
- la politique familiale de soutien à la natalité (prime à la naissance, congé parental, « capital maternel » pour les femmes ayant un deuxième enfant, certificat de grossesse/accouchement, réduction des frais de crèche ou d’école maternelle) ;
- l’aide sociale en faveur des bénéficiaires fédéraux (anciens combattants, médaillés du travail, personnes handicapées, etc.) constituée d'avantages telles que les réductions tarifaires…
Le niveau régional finance :
- l’allocation mensuelle pour les familles pauvres avec enfant(s) jusqu’aux seize ans de l’enfant (ou ses dix-huit ans s’il fait des études) ;
- l’allocation de logement en faveur des familles dont les dépenses de logement sont supérieurs à 22% de leur revenu total ;
- l’allocation pour les familles pauvres ;
- l’aide sociale en faveur des bénéficiaires régionaux (avantages sociaux, réductions tarifaires).
Toutes les mesures pour aider les familles démunies relèvent de la responsabilité de la région et leur ampleur dépend donc essentiellement du budget régional.
L’allocation enfant dans les familles pauvres
Selon les données officielles de Rosstat pour 2009, 15,5% des ménages étaient concernés par l'allocation enfants et 41% des enfants de moins de seize ans bénéficiaient de ce type d’aides qui ne représentait toutefois que 4% des revenus des familles destinataires. Ces aides sont donc insuffisantes.
L’allocation logement
Les bénéficiaires de l'allocation logement doivent présenter les justificatifs de leurs revenus et de leur situation professionnelle. Cette indemnité leur est accordée pour une durée de six mois à l’issue desquels de nouveaux justificatifs de revenu et d'activité économique de tous les membres du foyer doivent être fournis. Selon les données officielles de Rosstat, cette prestation est versée à 8,3% des ménages russes. Les chiffres communiqués pour la région de Tver, en Russie centrale, nous apprennent qu'environ 20% des ménages perçoivent cette allocation qui représente en moyenne 14% du minimum vital dans la région de Tver (Prokofieva, 2010).
L’aide ciblée en faveur des ménages pauvres
L'aide ciblée en faveur des ménages pauvres se distingue par la diversité des catégories de bénéficiaires et par ses règles d’octroi. L'analyse des actes juridiques normatifs régionaux indique que dans la moitié des régions (quarante au total), l'aide sociale de l’Etat est accordée à tous les ménages à faible revenu, qu’il s’agisse de familles ou de personnes seules. En revanche, dans trente-neuf régions, elle est réservée à certaines catégories de familles pauvres et aux personnes seules en situation de précarité : familles nombreuses, familles dont l’un des membres est handicapé ou qui s'occupent d’enfants handicapés, retraités qui ne travaillent pas (En Russie les retraités peuvent travailler et toucher officiellement un salaire en même temps que leur pension de retraite) et qui vivent seuls. Il n’existe pas de statistique officielle d’Etat sur le versement de cette allocation et seuls les sondages peuvent permettre d’estimer le nombre de bénéficiaires de ce programme. Selon les données d’enquête (NOBUS, 2003), 8% des ménages reçoivent ce type d’aide dont 6% sous la forme d’une allocation mensuelle durant trois ou six mois par an. Celle-ci peut prendre la forme d’un soutien financier ou être versée sous la forme de charbon, nourriture ou vêtements. Sa part dans le budget des familles bénéficiaires est de 5%.
En 2007, 23% des ménages russes étaient destinataires d’au moins un programme de soutien social basé sur le contrôle des revenus des bénéficiaires. Si l’on ajoute à ceux-ci les programmes destinés aux catégories de population en grande nécessité qui sont attribués sans vérification de revenus, 24% de la population est couverte par ces programmes (GGS, 2007).
Depuis l’époque soviétique, les prestations sociales en nature et les avantages sociaux représentent un élément très important de la protection sociale en Russie : gratuité ou tarif réduit dans les transports en commun, soins et médicaments, charges liées au logement. Il s’agit d’un héritage du passé dont le principe fondateur n'a jamais varié : donner le plus possible non pas à ceux qui en ont besoin mais à ceux qui en sont dignes. D’après les données de l’enquête NOBUS, 50% des ménages russes sont allocataires d’avantages sociaux. Exprimés en valeur, ces programmes représentent environ 9 % du montant total des ressources disponibles des ménages concernés. Aujourd’hui, les retraités sont les plus nombreux à percevoir ces avantages en nature (80 % des bénéficiaires) (Ovcharova et Prokofieva, 2007).
Les minima sociaux devraient garantir l’accès aux soins pour tous et l’accès à une éducation de base pour tous les enfants. La restriction de l’accès aux soins est un des signes les plus patents de la pauvreté et de l’exclusion sociale. Aujourd’hui, en Russie l’accès aux services de santé pour les enfants ne dépend pas du revenu familial car, pour eux, les soins restent gratuits, mais la tendance va plutôt vers un accroissement des services payants. En ce qui concerne les adultes, un nombre croissant d’actes deviennent payants et l’assurance maladie obligatoire ne rembourse qu’une très faible partie des frais médicaux. Les inégalités d’accès aux soins se sont aggravées avec la dégradation du service public, l’essor de l’offre privée et des paiements informels aux médecins dans les hôpitaux publics.
La Russie a hérité de l’URSS un taux de scolarisation proche de 100%. Mais l’accès à l’éducation supérieure est devenu plus inégalitaire au fil des années : les enfants issus de familles pauvres sont désormais plus nombreux à quitter le système éducatif dès l'âge de seize ans, voire avant. Les jeunes exemptés de droits d’inscription à l’université n’ont pas forcément accès aux études professionnelles supérieures en raison de l’augmentation des prix de la nourriture et des logements communautaires. Seules les écoles professionnelles de base ou de niveau moyen restent à la portée des pauvres.
Les réseaux de soutien familiaux et associatifs
Le réseau d’entraide familiale et amicale en Russie joue un rôle important pour soutenir les familles démunies et corrige, dans la mesure du possible, les défauts du système de protection sociale. Selon les données de l’enquête NOBUS, 30% à 40% de ces familles reçoivent de leur famille ou d'amis une aide financière qui représente 10% à 25% de leurs revenus.
Les associations et les fonds privés d’aide aux pauvres, y compris les fonds caritatifs, ne sont pas encore très répandus en Russie. D’après l’enquête, la part des gens qui s’adressent à de telles organisations ne dépasse pas 1% à 3%, y compris dans les localités les plus défavorisées.
Certaines associations soutiennent directement tel ou tel type de famille ou représentent les intérêts des groupes les plus précaires auprès des pouvoirs locaux. Les associations de familles nombreuses ou de familles avec enfants handicapés sont assez nombreuses. Là où elles fonctionnent au niveau municipal ou régional, elles apportent un soutien concret (échanges de vêtements, organisation de crèches, distribution de tickets restaurant pour les enfants, organisation des loisirs et de l’éducation culturelle des enfants de familles nombreuses, etc.). Dans la plupart des cas, elles ne reçoivent qu’une subvention minime de la part des autorités.