Changer d’échelle et de regard sur la pauvreté

Par Marie-Françoise Durand et Christian Lequesne
Comment citer cet article
Marie-Françoise Durand et Christian Lequesne, "Changer d’échelle et de regard sur la pauvreté", CERISCOPE Pauvreté, 2012, [en ligne], consulté le 06/05/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/pauvrete/content/changer-dechelle-et-de-regard-sur-la-pauvrete

Le thème de cette deuxième édition du Ceriscope porte sur la pauvreté, sujet majeur de la période contemporaine, rarement abordé à la fois de façon pluridisciplinaire, à l’échelle des sociétés du monde et sous un angle comparatif. Les contributions croisent les approches de chercheurs appartenant à plusieurs disciplines des sciences sociales : l’anthropologie, l’économie, l’histoire, la géographie, la science politique et la sociologie. Chacune s’attache à donner du sujet qu’il traite une lecture simple et qualifiée, faite à la fois de clés d’interprétation et d’éléments factuels précis.

L’amplification de la récente crise économique internationale donne au thème de la pauvreté une acuité nouvelle en même temps que la société de l’information en permet une visibilité beaucoup plus grande. Quelle que soit la méthode de comptabilisation de la pauvreté, les statistiques révèlent à la fois son caractère massif et ses formes très variées. Le caractère universel de la pauvreté a été mis en évidence par les Objectifs du millénaire pour le développement qui démontrent à quel point la vision nord/sud classique est devenue obsolète. Aussi cette universalité de la pauvreté ne saurait-elle être reléguée uniquement dans les coins de certaines villes ou campagnes. Les auteurs du Ceriscope affinent les analyses en l’articulant avec l’évolution des inégalités en général, que celles-ci soient entre Etats (à la hausse), pondérées par les effectifs de populations (à la baisse) ou internes aux Etats (qui croissent d’autant plus fortement que les transferts sociaux sont en déclin). Le retrait général des Etats, plus particulièrement des Etats faibles (Afrique), la croissance économique sans développement (Inde) et les vagues de libéralisation se sont traduites par une augmentation des inégalités sociales, voire socio-spatiales. Dans les pays qui connaissent une très forte croissance démographique, même lorsque la part des pauvres dans la population totale diminue, leur nombre total augmente par simple effet démographique. Cet immense défi concerne toutes les sociétés, et plus particulièrement les grands pays émergents parmi lesquels le Brésil se distingue par ses politiques publiques volontaristes de lutte contre la pauvreté.

La pauvreté et le défi global qu’elle représente sont chaque jour plus visibles. Les acteurs de cette visibilité ne sont plus seulement les grands Etats avec leur rhétorique sur l’aide aux « pays pauvres » destinée à préserver l’ordre international, ni même les organisations internationales dont elle est pour certaines la raison d’être. Les ONG jouent un rôle croissant à la fois d’alerte et d’expertise, mais aussi par leur engagement auprès des pauvres ou les pressions qu’elles exercent sur les Etats pour la mise en place de politiques publiques de lutte contre la pauvreté. Enfin, les mouvements sociaux transnationaux, les blogueurs, les « indignés », en dénonçant le caractère insoutenable des injustices sociales participent largement de cette visibilité. Parmi les déclencheurs du printemps arabe, la pauvreté, voire la malnutrition ont joué un rôle important, ne débouchant pas cette fois-ci seulement sur des émeutes de la faim mais sur des remises en causes politiques des systèmes de redistribution des richesses au sein des sociétés.