Adeline Braux,
"Les immigrés sud-caucasiens en fédération de Russie : des nouvelles minorités intermédiaires",
, 2011, [en ligne], consulté le
10/10/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/content/part4/les-immigres-sud-caucasiens-en-federation-de-russie
Relativement stables de 1989 à 1992, années marquées par de nombreux conflits dans la zone, les migrations au sein de l’ex-URSS passent de 10,5 millions en 1990 à 4 millions en 1993. Les flux migratoires dirigés vers la Russie connaissent une décrue rapide et spectaculaire à partir de 1994 : de 2 millions en 1989, ils s'établissent à1 550 000 en 1994, avant de se stabiliser à 500-700 000 au début des années 2000. La froideur des chiffres ne doit toutefois pas faire oublier la grande hétérogénéité des situations : dans le mainstream migratoire post-soviétique, on croise aussi bien des réfugiés que des migrants économiques, des migrants en transit et des déplacés internes. Ces aspects, à la fois qualitatifs et quantitatifs, sont caractéristiques des flux migratoires entre les pays du Caucase du Sud et la fédération de Russie et sont à l’origine de la formation, dans ce pays, de ce qu’on appelle désormais des diasporas. Ces dernières tendent, dans le cas des Sud-Caucasiens, à devenir de véritables minorités intermédiaires en Russie.
L’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie se distinguent dès le début des années 1990 des autres pays d'Asie centrale par la forte proportion de membres de l'ethnie majoritaire parmi leurs émigrés. De fait, le potentiel migratoire des Russes était déjà largement épuisé au milieu des années 1990, ceux-ci avaient commencé à quitter ces républiques depuis les années 1960. Ce passage correspond également à une modification qualitative des flux, de nature plus économique qu’auparavant. Les données statistiques par « nationalité » (c’est-à-dire l’origine ethnique) indiquent que, au tout début des années 1990, la proportion des Arméniens, Azerbaïdjanais et Géorgiens ethniques dans les flux migratoires dirigés vers la Russie évolue de façon quelque peu différenciée. Ainsi, d’après les chiffres officiels, 16 100 Arméniens se dirigent vers la Russie en 1990, tandis que près de 4 000 Azerbaïdjanais et 3 000 Géorgiens quittent la Russie. Le solde migratoire redevient positif avec les Géorgiens en 1992, avec les Azéris en 1993, tandis que 23 600 Arméniens sont officiellement pris en compte en 1992. Dans la période 1989-1993 et 1994-1998, la part des Arméniens, Azéris et Géorgiens ethniques est en nette augmentation. Toutefois lorsqu’on observe les années individuellement, le nombre d’Arméniens et de Géorgiens baisse continuellement à partir de 1994 et celui des Azerbaïdjanais à partir de 1996. Plusieurs facteurs expliquent cette évolution qui semble, il est vrai, quantitativement modeste, mais qui doit être replacée dans un contexte particulier. En raison du conflit du Haut-Karabagh, les années 1990, 1991 et 1992 ont vu le départ d’Azerbaïdjan de la quasi totalité des Arméniens, tout d’abord de Bakou (1990), puis de certaines zones situées au Haut-Karabagh ou dans les régions adjacentes (surtout en 1992), populations qui se sont, la plupart du temps, réfugiées en Russie. De même, les Géorgiens ont massivement quitté l’Abkhazie en 1992, notamment après la prise de Soukhoumi. Or en 1992 pour la première fois le solde migratoire des Géorgiens en Russie redevient positif, avant de décliner continuellement par la suite. Les Azerbaïdjanais déplacés en grand nombre à cause du conflit du Haut-Karabagh se sont quant à eux massivement dirigés vers Bakou ou d'autres régions avant, pour certains, d’émigrer vers la Russie, parfois quelques années plus tard. Des réfugiés et personnes déplacées d’un jour ont donc pu devenir des migrants économiques, rendant les frontières entre les différentes catégories particulièrement mouvantes. Quelles que soient les circonstances de leur arrivée, les immigrés sud-caucasiens ont pour point commun d’avoir souvent investi le secteur du commerce.