Rachel GUYET,
"Les politiques de cohésion économique et sociale au sein de l'Union européenne",
, 2012, [en ligne], consulté le
11/10/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/pauvrete/content/part4/les-politiques-de-cohesion-economique-et-sociale-au-sein-de-lunion-europeenne
Le territoire européen présente non seulement des disparités socio-économiques importantes d’un Etat membre à l’autre mais également entre les régions au sein d’un même Etat. Ces écarts se sont accentués avec les effets de la crise qui frappe l’Union européenne depuis 2008. En 1989, celle-ci s’est dotée d’une politique de cohésion pour réduire ces déséquilibres économiques et sociaux et encourager la convergence entre les régions européennes, contribuant ainsi au développement économique et social de tous les territoires. L’aspect territorial est renforcé par l’article 174 du traité de Lisbonne qui fait de la cohésion territoriale un des objectifs déclarés de l’Union européenne, aux côtés de la cohésion économique et sociale. Cette politique s’est consolidée au fil du temps et s’est dotée d’instruments financiers à hauteur de 347,4 milliards d’euros pour la période 2007-2013. Elle vise ainsi à soutenir les efforts réalisés par les Etats membres pour tendre vers une économie compétitive, solidaire et durable partagée par tous. Cependant, la hausse des chiffres du chômage et de la pauvreté depuis 2007 est un défi lancé à cette politique. A ce phénomène s’ajoutent les enjeux auxquels doit faire face l’Europe aujourd’hui : la crise de la dette publique, la globalisation, la pression migratoire, le changement climatique et énergétique, le développement durable et le passage à une économie sobre en carbone. Toutes ces difficultés nécessitent des réponses adaptées de la part de la politique de cohésion. Or celle-ci se trouve confrontée à la contradiction inhérente à l’intégration européenne : quelle est la force de la régulation européenne face à des Etats qui maintiennent leurs prérogatives, en particulier dans le domaine social, et défendent leurs capacités d’action nationales ? Dans quelle mesure les conditionnalités mises en place par l’Union européenne suffisent-elles pour contraindre les Etats à coordonner leurs politiques et les adosser aux priorités européennes ? Les outils européens visant le maintien d’un certain niveau de cohésion économique, sociale et territoriale en Europe doivent faire face à cette contradiction.
Cet article aborde la question sociale en se penchant sur la manière dont le Fonds social européen (FSE) - crée en 1958, intégré à la politique de cohésion et visant à accompagner le processus d’intégration économique - répond à l’objectif transversal de développement social inclusif fixé par la Stratégie Europe 2020 et réitéré pendant l’année 2010, Année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Avec les nouvelles contraintes pesant sur la réduction des déficits publics, cet objectif est remis en question. La réalisation de l’objectif de développement durable, solidaire et inclusif se trouve également remise en question par le manque de gouvernance européenne en matière sociale face à des Etats attachés à leurs compétences.
Le défi de l’inclusion sociale dans un contexte de crise
La crise qui a touché l’Europe dès l’automne 2008 a eu un effet révélateur, voire accélérateur, des difficultés structurelles de l’Union européenne dans les domaines économique, social et territorial. Elle a également ramené à l’ordre du jour la nécessité pour l’Union de disposer et de mettre en œuvre une véritable politique de développement inclusif pour répondre à l’asymétrie des performances économiques et de répartition de revenus qui affecte les régions et les citoyens européens.
D’un point de vue économique d’abord, la crise a montré les effets négatifs de modèles de développement lié à la financiarisation de l’économie, à la dérégulation des marchés ou à un manque de croissance verte. Cependant, ces effets sont variables en fonction des choix de développement des différentes régions européennes. L’Europe est ensuite passée d’une crise financière puis économique, accompagnée de conséquences sociales sérieuses, à une crise de la dette publique mettant en cause la capacité de l’Union européenne à coordonner une réponse commune. Par ailleurs, cette crise a révélé la vulnérabilité des économies européennes, en particulier au Sud et à l’Est de l’Europe. Celles-ci sont actuellement les plus touchées par la crise de la dette publique et doivent faire face aux pressions internationales pour contraindre leurs budgets, pressions qui se traduisent en mesures d’austérité qui génèrent à leur tour de fortes tensions sociales.
D’un point de vue social ensuite, les conséquences de la récession économique mondiale ont été décalées dans le temps et ont varié selon les pays. Si l’inclusion sociale représente depuis longtemps un défi majeur pour la plupart des pays européens, quel que soit leur niveau de richesse, la crise a accentué l’urgence de développer et de mobiliser des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion qui menacent la cohésion sociale (Geddes, 2000). Si la pauvreté relative est passée de 17% en 1995 à 15% en 2001 et si le risque de pauvreté - calculé sur la base d’un revenu disponible (incluant revenus monétaires et transferts sociaux) par ménage - inférieur à 60% du revenu moyen médian du pays de résidence - a également régressé, il n’en reste pas moins qu’en 2010, 114 millions d’Européens, soit 17% de la population de l'Union, sont considérés en risque de pauvreté ou d’exclusion au regard de trois facteurs : soit parce qu’ils sont directement confrontés à des revenus faibles qui ne permettent pas de couvrir les besoins mêmes élémentaires ; soit parce qu’ils font face à une situation de dénuement matériel ; soit parce qu’ils vivent dans des ménages où l’intensité de travail est faible.
L’accès, ou plutôt le manque d’accès, aux services publics tels que la santé, l'éducation, etc. représente une autre caractéristique de la pauvreté. Les inégalités face à l’inclusion sociale et professionnelle varient également fortement selon les groupes sociaux : si elles ont diminué pour les personnes âgées, elles ont augmenté pour les jeunes, en particulier les moins qualifiés, pour les chômeurs et notamment pour les demandeurs d’emploi de longue durée, les femmes, les immigrés et les minorités. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, la pauvreté et l’exclusion touchent particulièrement les Roms. L’augmentation du risque de pauvreté pour les enfants qui vivent avec des parents isolés ou au sein de familles nombreuses dont les revenus sont faibles en raison du manque d’emploi représente un phénomène inquiétant.
Par ailleurs, le risque de pauvreté ou d’exclusion s’est accentué avec les répercussions de la récession économique mondiale : la fragmentation et la segmentation des marchés du travail se sont aggravées, contribuant à l’augmentation du nombre de travailleurs pauvres. L’emploi est souvent considéré comme la solution à la pauvreté, mais cela est le cas seulement si le montant de la rémunération permet un niveau de vie décent, ce qui est loin d’être le cas pour les emplois à temps partiel ou faiblement qualifiés et les contrats temporaires. En Europe centrale, par exemple, en moyenne 40% des personnes actives étaient en situation de précarité au début des années 2000 (Vaughan-Whitehead, 2003). Face à la précarisation de la population, notamment dans les parties méridionale et orientale de l’Europe, les pays ne disposent pas tous de mesures de protection sociale suffisamment solides pour répondre à cet enjeu. La crise a ainsi révélé les faiblesses structurelles des systèmes de protection sociale qui se sont accentuées avec les nouvelles contraintes budgétaires pesant sur les finances publiques. Favoriser l’accès à l’emploi, condition sine qua non reposant sur la capacité de l’économie à fournir des emplois de qualité et en nombre suffisant permettant de sortir les individus du risque de pauvreté, est l'un des moyens pour lutter contre ces problèmes majeurs que rencontre l’Union européenne. L’inclusion sociale et la lutte contre la pauvreté restent donc des défis majeurs dans la plupart des pays européens et sont pris en compte dans la Stratégie Europe 2020 qui a fixé comme objectif de sortir 20 millions de personnes de la pauvreté d’ici 2020 (European Commission, 2011).
D’un point de vue territorial enfin. Les effets de la crise économique mondiale ont révélé l’importance des fractures territoriales au sein de l’Union européenne entre, d’une part, des régions capitales concentrant la majeure partie des investissements et des structures administratives et présentant le plus fort dynamisme économique et potentiel d’innovation ; d’autre part, des régions périphériques cumulant les handicaps géographiques, économiques, sociaux et institutionnels. Le rapport Lequiller mentionne, à titre d’exemple, que « 43% de la production économique et 75% des investissements consacrés à la recherche et à l’innovation se localisent sur seulement 14% du territoire européen avec une concentration très forte sur les grandes agglomérations que sont Paris, Londres, Hambourg, Munich et Milan ». Les disparités territoriales sont aggravées lorsqu’une région cumule une position en périphérie de l’Union européenne et une économie peu diversifiée, comme c’est le cas, par exemple, de l’Andalousie ou de l’Est de la Slovaquie où les taux de chômage ont atteint des chiffres très élevés. Cette situation tend à exacerber les risques de polarisation sociale au sein des régions.
Les conséquences institutionnelles et politiques de la crise ne sont pas à négliger. Certes, l’Union européenne a montré sa capacité à réagir en présentant rapidement un plan de relance accepté et soutenu par les Etats membres et les partenaires sociaux européens. Mais elle a également révélé ses limites à se positionner en acteur central de la coordination des plans de relance nationaux. Les atermoiements politiques qui ont caractérisé la gestion de la dette grecque ont ainsi accentué ce manque structurel d’unité politique.
Le FSE : un instrument de la cohésion face à la crise
Dans ce contexte de crise, on peut donc s’interroger sur le rôle des instruments de cohésion dans le soutien au développement et à la solidarité européenne. Le FSE, comme la politique de cohésion en général, n’a pas pour objectif de répondre aux chocs économiques. Il vise un ajustement permanent favorisant l’adaptation aux mutations économiques et sociales et stimulant un développement économique et social durable dans toutes les régions européennes par la mobilisation des potentiels respectifs des différents territoires européens. En effet, la politique de cohésion, et notament le Fonds social européen, sont perçus comme un instrument de la solidarité européenne destinés à contrebalancer les effets de l’intégration économique. Il ne s’agit pas de simples outils de redistribution mais bien d’instruments visant la convergence de développement socio-économique entre toutes les régions. Cependant, alors que dans ce contexte de crise, la solidarité entre Etats et régions n’a jamais été aussi nécessaire, la mise en œuvre des fonds est rendue plus délicate en raison des restrictions budgétaires générées par la récession, limitant ainsi les capacités de co-financement national dans de nombreux Etats membres.
Cette situation contribue à tendre les discussions sur l’avenir de la politique de cohésion post-2103. Les besoins résultant de la crise ont conduit la Commission et les Etats membres à apporter des simplifications de procédures dans la mise en œuvre des instruments de cohésion afin de faciliter la consommation des fonds (COM(2008)876).
Même si les fonds structurels ne sont pas pensés comme des instruments à mobiliser pour faire face à l’urgence, ils ont néanmoins contribué à atténuer les effets de la crise, en particulier sur les marchés du travail. Compte tenu de la menace pesant sur les emplois, les mesures d’appui aux marchés du travail et aux personnes particulièrement touchées par la crise ont été les plus appliquées. Certains pays, tels la Slovénie, qui dispose de capacités de soutien aux politiques publiques de l’emploi plus limitées, reconnaissent que, sans le Fonds social européen, les mesures de chômage partiel combinant allocations et formation n’auraient pas été possibles (Conférence FSE et crise, décembre 2009). Or il s’agit de la disposition la plus utilisée en Europe en 2009 - vingt-deux pays y ont eu recours - pour limiter les pertes d’emplois, maintenir les personnes sur leurs postes de travail tout en leur permettant de se former. Cette mesure a ainsi permis de garantir la sécurité financière des salariés menacés, d’introduire une flexibilité interne à l’entreprise en évitant le recours au licenciement et de préserver, voire d’améliorer, les compétences des salariés dans la perspective de la reprise. L’allocation versée aux salariés pour compenser les pertes d’heures travaillées a principalement été financée sur la base de politiques publiques de l’emploi nationales, la formation a été en partie financée par les fonds nationaux et le FSE, ce dernier exerçant un effet de levier. Ce soutien illustre l’orientation globalement prise par l’Union européenne dans la stratégie de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, orientation qui repose principalement sur des mesures d’activation vers le retour à l’emploi et de maintien ou d’acquisition des compétences. L’accès à l’emploi et l’adaptation des qualifications sont ainsi placés au centre de cette politique, oublieuse d’autres dimensions, telles que le logement et la santé qui nécessitent la territorialisation de l’intervention publique afin de répondre au mieux aux besoins des populations défavorisées sur un territoire donné.
Quelle valeur ajoutée ?
La valeur ajoutée de la politique de cohésion se mesure à l’aune de sa contribution au développement économique, social et territorial, à la réalisation des grandes priorités de l’Union européenne et à la mise en place d’une gouvernance innovante.
Une visibilité à améliorer
L’examen du FSE illustre néanmoins la complexité de cette évaluation. D’une part, les problèmes qu’il aborde - l’exclusion sociale et la pauvreté - présente de nombreuses facettes et implique des acteurs multiples, son traitement relève de la compétence des Etats et sa réussite dépend de facteurs sur lesquels la politique de cohésion n’a aucune prise. Il apparaît donc difficile d’identifier la contribution particulière de cette politique structurelle au développement au sens large, évaluée à l’aide de seuls indicateurs macro-économiques. D’autre part, le FSE investit dans le capital humain et non dans les infrastructures, ce qui rend l’évaluation de sa contribution « à favoriser l’émancipation dans des sociétés ouvertes à tous » - objectif fixé par la stratégie UE2020 - encore moins visible, faute d’indicateurs adaptés mais aussi de communication.
Les fonds structurels permettent à certaines régions, en particulier celles concernées par l’objectif « convergence », d’atteindre un effet de seuil qui peut contribuer à leur rattrapage économique. C’est ce que tend à montrer la croissance de leur PIB par habitant.
Cependant, ce rattrapage n’est pas automatiquement synonyme de redistribution égale des effets de la croissance sur les individus. Un rééquilibrage par le biais de politiques de soutien à l’insertion sociale et professionnelle est donc nécessaire. Mais comment le mesurer ? Sur la période 2000-2006, la politique de cohésion dans son ensemble a contribué à un net rattrapage des revenus, en particulier dans les nouveaux Etats membres (Eurostat 2010), et à la création de plus de un million d’emplois en Europe, tous objectifs confondus. Car la création de ces nouveaux emplois dépend de bien d’autres facteurs que de la seule contribution financière de la politique de cohésion. Même s’il reste élevé, le niveau de pauvreté en Europe, a néanmoins diminué sous l’impulsion de la stratégie d’inclusion sociale développée par l’Union européenne et mise en place par les Etats membres. Par ailleurs, plus de 75 millions de citoyens européens - pour les trois quarts des demandeurs d’emploi - ont pris part aux projets financés par le FSE. La moitié des participants étaient des femmes (Communication de la Commission SEC (2010) 360). En ce sens, le FSE se concentre sur les groupes les plus vulnérables du marché du travail considérés comme les cibles prioritaires des mesures de politiques actives de l’emploi. Comme le précise le cinquième rapport sur la cohésion économique, sociale et territoriale, « sans la politique de cohésion, les disparités seraient plus marquées ».
Une autre valeur ajoutée de la politique de cohésion et du FSE en particulier - qui n’est pourtant pas prise en compte dans les indicateurs - se mesure en termes d’implication des acteurs locaux, d’intégration des logiques sectorielles sur un territoire et d’actions innovantes générées par des partenariats adaptés. Le principe de partenariat et de gestion partagée qui préside à la mise en place des fonds structurels permet de créer une culture commune de l’action administrative et collective, signe d’une adhésion des territoires à la culture de l’Union et de jouer ainsi un rôle de levier pour le développement local.
Par ailleurs, il est difficile d’évaluer la contribution du FSE à l’inclusion sociale dans la mesure où celui-ci finance des projets alors que les besoins relèvent surtout d’un soutien individuel. Ce décalage réduit ainsi la visibilité de la contribution du FSE à l’inclusion sociale et à la lutte contre la pauvreté. La réforme de la politique de cohésion fait actuellement l’objet d’une réflexion qui doit tenter de répondre à l’absence d’indicateurs appréhendant sa valeur ajoutée et au manque de visibilité de la politique de l’Union européenne en faveur de l’intégration sociale et professionnelle.
La nécessaire simplification des modalités de mise en œuvre
Comme en général pour l’ensemble de la politique de cohésion, la mise en œuvre du Fonds social européen est confrontée à des modalités et procédures administratives complexes en termes de règlement d’application, de contrôle, etc. La nouvelle période de programmation avait clarifié certains règlements et procédures. La mobilisation de fonds pour affronter la crise a accentué le besoin de simplification et de flexibilité d’utilisation des fonds. Dès lors, la Commission a proposé des mesures validées par le parlement européen et le Conseil pour faciliter cette mobilisation. Mais malgré ces mesures, l’absorption des fonds se maintenait fin 2009 au même niveau que lors de la précédente période de programmation : environ 27% des fonds structurels alloués et seulement 15% du FSE (Conférence Bruxelles, 2010) étaient engagés, malgré une demande supérieure d’intervention liée à l’état de l’économie mondiale.
Cette complexité ralentit le processus de programmation ; elle peut être source d’erreurs et réduire l’efficacité de la politique de cohésion. En effet, les contraintes pesant sur les budgets publics actuels rendent incertaines les possibilités de cofinancement, notamment dans les nouveaux Etats membres dont le niveau d’engagement est très inférieur à la moyenne européenne. Par ailleurs, cette complexité risque de décourager les porteurs de projets, qui doivent non seulement respecter des conditions d’éligibilité difficiles à appréhender, mais également disposer d’une trésorerie suffisante pour respecter le principe de remboursement des dépenses dans un contexte marqué par l’instabilité et l’incertitude des possibilités de cofinancement. Finalement, cette complexité nécessite de développer et/ou de renforcer les capacités administratives des nouveaux Etats membres qui sont les plus faibles consommateurs de ces fonds à l’exception de la Lituanie et de l’Estonie (Rapport Lequiller, 2010). Le besoin de simplification du cadre règlementaire s’impose donc pour améliorer l’efficacité de la politique de cohésion.
Une cohérence à trouver
Les modifications apportées aux règlements de mise en œuvre pour la période de programmation 2007-2013 sont supposées accentuer les liens entre les fonds, en particulier entre le Fonds européen de développement régional (FEDER) et le FSE, et mieux cibler leur utilisation vers les priorités de la stratégie européenne. Cette nouveauté vise à mieux coordonner les projets d’investissement avec le développement des emplois en volume et en qualité, à décloisonner l’approche sectorielle et à accroître la valeur ajoutée de la politique de cohésion. Cette démarche nécessite un changement d’approche de la part des institutions et des porteurs de projets. L’utilisation des fonds requiert ainsi d’articuler entre eux un grand nombre de stratégies (Lisbonne puis Stratégie Europe 2020), d’objectifs (convergence, compétitivité régionale et emploi) et de priorités (changement climatique, énergie, innovation, inclusion sociale etc.) et de croiser à la fois les Orientations stratégiques communautaires avec le Cadre de référence stratégique national déclinés ensuite dans les programmes opérationnels sur le terrain. En outre, la politique de cohésion doit s’accorder aux autres politiques communautaires. Autant dire que la complexité de cet empilement d’objectifs, de priorités et de procédures peut avoir un effet dissuasif quand il s’agit de traduire cet ensemble de règles d’intervention en investissements productifs et adaptés aux besoins d’un territoire et de sa population ainsi qu’en objectifs concrets éligibles susceptibles de mobiliser les porteurs de projets. La mise en œuvre des fonds structurels nécessitent des compétences ad hoc au niveau des institutions de gestion mais également au niveau des échelons territoriaux et des porteurs de projets afin d’appréhender et de respecter les conditions d’éligibilité. L’utilisation des fonds européens exige un renfort de la capacité administrative des institutions et une amélioration de l’accompagnement à fournir aux porteurs de projets. Une mise en cohérence des fonds clairement concentrés sur ces quelques objectifs pourrait constituer une forme de conditionnalité nécessaire pour garantir la valeur ajoutée des financements communautaires dans les territoires.
Une architecture complexe
La gouvernance des fonds est caractérisée par une gestion partagée entre plusieurs niveaux d’intervention et par le principe de partenariat. Au niveau européen, la méthode ouverte de coordination (MOC) constitue le principal instrument de gouvernance de l’inclusion et de la protection sociales. Il s’agit d’un mode de coordination non contraignant, basé sur l’échange et les bonnes pratiques, permettant la mise en place d’objectifs, d’indicateurs communs et un suivi des progrès de la mise en œuvre des objectifs de la stratégie européenne dans les différents pays. Dans la mesure où les Etats membres conservent leurs compétences en matière sociale, l’intervention européenne ne peut être qu’incitative. Si cette méthode à permis de promouvoir le progrès social dans tous les Etats membres, elle ne dispose pas des moyens pour les contraindre à renforcer l’efficacité de leurs interventions, ce qui limite les effets de l’engagement de l’Union européenne sur la dimension sociale de l’intégration.
Par ailleurs, la gestion des fonds est plus ou moins centralisée selon les pays ; c'est-à-dire que les régions sont plus ou moins impliquées dans la rédaction des cadres de référence stratégiques nationaux. C’est effectivement ce que réclame largement l’Assemblée européenne des régions (AER, 2010). Dans la mesure où la mise en œuvre des fonds structurels est territorialisée, elle nécessite un travail de coopération au niveau vertical entre les différents niveaux d’intervention et horizontal au niveau de chaque territoire. En ce sens, elle a encouragé la constitution de réseaux et de partenariats entre organisations qui auparavant n’avaient que peu – ou pas – le réflexe de la coopération et de l’ouverture, ce qui a contribué à une meilleure connaissance locale et à une familiarisation avec la culture administrative européenne. C’est particulièrement le cas dans les nouveaux Etats membres. Ces partenariats constituent de véritables leviers pour partager des diagnostics sur des phénomènes multidimensionnels impliquant un large éventail de compétences et de ressources et pour élaborer des stratégies et des solutions communes. Il n’en reste pas moins que la mobilisation et la coordination des différents niveaux de pouvoirs et d’institutions, de même que la prise en compte des intérêts des différentes organisations, restent un défi majeur dans de nombreux territoires. Il s’agit de contrebalancer la fragmentation – voire parfois l’éparpillement – des compétences dans la lutte contre l’exclusion. Ces démarches d’échanges et de rapprochement soutenues par le FSE demandent une importante flexibilité pour sortir de leurs contraintes institutionnelles respectives. Or elles sont basées principalement sur des relations plus ou moins formelles. La question de la pérennité du consensus local et la capacité à mobiliser les ressources est souvent remise en cause (changement de représentant, réorientation de politique publique, recentrage institutionnel, contraintes internes, manque de ressources). Néanmoins, la promotion de partenariats locaux et d’une gouvernance horizontale organisée constitue l’une des caractéristiques de la politique de cohésion. L’approche de développement intégré proposée par Fabrizio Barca vise à améliorer cette coordination verticale et horizontale afin de créer une synergie entre les politiques sectorielles des différentes échelles territoriales. Elle pourrait ainsi permettre de mieux combiner efficacité et équité en intégrant l’inclusion sociale dans le développement local (Barca, 2009). Dès lors, elle pourrait constituer une autre forme de conditionnalité de l’allocation qui contribuerait à la valeur ajoutée des fonds structurels.
Conclusion
La crise a remis à l’ordre du jour la question de l’existence d’un modèle social européen fondé sur la solidarité entre les régions et auquel le FSE contribue. Le modèle social n’a pas évolué positivement depuis plusieurs années, qu’il s’agisse du dialogue social européen ou de la méthode de gouvernance non contraignante (MOC). Au contraire, les majorités politiques ont changé et affichent manifestement un manque de volonté politique de soutenir et de développer l’acquis social. Par ailleurs, l’idée d’Europe sociale est loin d’être ancrée à tous les niveaux des institutions européennes : la plupart des approches sectorielles ne prennent pas en compte la dimension sociale et l’impact des politiques mises en œuvre n’est aucunement analysé. Si l’Europe sociale n’est pas totalement inexistante – la cohésion sociale est intégrée dans le traité de Lisbonne et un certain nombre de directives ont été adoptées –, on ne peut que constater l' asymétrie existant entre l'approche économique et l'approche sociale de l’Union. Or sans Europe sociale, ou avec une Europe sociale faible, les citoyens risquent de se détourner de l’Europe tout court, d’autant que l’instrument principal de cette dimension, le FSE, reste peu visible. Régulièrement apparaissent des demandes de simplification des modalités et des procédures de mise en œuvre des fonds ainsi que la mise en place d’une gouvernance plus contraignante - notamment dans la perspective d’utiliser le FSE pour atteindre les objectifs fixés par la Stratégie EU2020. Certaines formes de conditionnalités, telles la mise en cohérence de l’allocation des fonds à des objectifs prioritaires et l’élaboration d’une approche intégrée du développement au niveau territorial, pourraient contribuer à valoriser la politique communautaire et son volet inclusion sociale. Mais comment les Etats appréhenderont-ils la cohésion sociale, économique et territoriale après 2013 ? Comment envisageront-ils la contribution du FSE à la lutte contre la pauvreté et à la compétitivité régionale ? C’est ce que les négociations en cours sur la prochaine période de programmation révèleront.
Références
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• BARCA F., An Agenda for a Reformed Cohesion Policy: A place-based Approach to meeting European Union Challenges and Expectations, 2009.
• COMMISSION EUROPEENNE, 5e Rapport sur la cohésion économique, sociale et territoriale : l’avenir de la politique de cohésion, 2010.
• COMMUNICATION DE LA COMMISSION, Cohesion Policy: Investing in the Real Economy, COM(2008)876, 2008.
• COMMUNICATION DE LA COMMISSION, Politique de cohésion : rapport stratégique sur la mise en œuvre des programmes 2007-2013, SEC (2010) 360, 2010.
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