Migrations et pauvreté : essai sur la situation malienne

Par Patrick GONIN et Nathalie KOTLOK
Comment citer cet article
Patrick GONIN et Nathalie KOTLOK, "Migrations et pauvreté : essai sur la situation malienne", CERISCOPE Pauvreté, 2012, [en ligne], consulté le 27/07/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/pauvrete/content/part2/migrations-et-pauvrete-essai-sur-la-situation-malienne

Pourquoi partent-ils ? Parce qu’ils sont pauvres et/ou qu’ils n’ont pas de travail est la réponse que l'on entend le plus souvent. Nous avons posée cette question dans des classes d’écoles primaires et de collèges lors d’interventions présentant les migrations internationales de notre monde contemporain. Rien d’étonnant : ces élèves ne font que reproduire ce qui est largement propagé par trop d’hommes politiques ou de commentateurs d’actualité lorsque les questions migratoires sont débattues. Cet adage n’en demeure pas moins une vérité très partielle. Partir pour l'étranger ne peut se faire sans la détention d'un capital financier minimal qui résulte bien souvent d’un capital social permettant d’accéder à la connaissance des routes migratoires, à des adresses de destination, au savoir qui permettra de s’adapter aux évolutions des politiques nationales d’ouverture ou de restriction de la mobilité. Partir nécessite donc des ressources, celles qui se transmettent dans des cercles fermés : ceux du domaine de la proximité, des classes sociales et des cellules familiales.

Pour tenter d’approcher ces réalités migratoires et leurs rapports à la pauvreté, une deuxième question est nécessaire : comment partent-ils ?  En croisant cette deuxième interrogation avec la première, différents profils migratoires apparaissent dont en premier lieu les migrations de travail et celles de peuplement. D’autres sous-catégories ont été construites et traduisent la diversité des migrations et leur complexification. Une migration de travail peut être temporaire, circulaire, sous contrat… Quant aux migrations de peuplement, elles varient en fonction des situations spécifiques et peuvent être liées à la question de l’emploi. Dans tous les cas de figure, les pays d’arrivée déterminent les conditions d’accès à leur territoire national pour lesquelles les contraintes deviennent de plus en plus nombreuses. Toutes ces catégories ne doivent pas être confondues avec les situations des réfugiés ou des personnes déplacées. Les déterminants des migrations sont donc divers et ces dernières ne peuvent en aucun cas  s’expliquer par la seule volonté de trouver du travail ou fuir la pauvreté. Et même si telle était cette seule réalité, les migrants internationaux seraient alors beaucoup plus nombreux. « En ce début du XXIe siècle, parmi les figures de plus en plus variées de la mondialisation migratoire, émergent de manière emblématique les femmes, les étudiants, les qualifiés, les entrepreneurs transnationaux, mais aussi des hommes très jeunes, souvent encore adolescents, mieux scolarisés et formés, qui traduisent chacun à leur façon leur rêve de se réaliser dans le monde d’aujourd’hui, leur espoir d’avoir “un futur”, leur volonté d’être acteur de leur vie. » (Simon, 2008) En réalité, ils partent pour que d’autres restent et cette décision est d’abord individuelle même si parfois elle est partagée avec des proches. D’autres partent pour mieux revenir, ils espèrent un avenir meilleur. Ils partent aussi pour vivre mieux, combattre leur appauvrissement et ici le lien devient possible avec l’idée que l’on se fait de la pauvreté ou de ce que veut dire socialement être pauvre. Le contexte socio-économique demeure donc essentiel.

Cet essai sur les relations entre les migrations internationales et la pauvreté tente d’expliquer que les candidats maliens à la migration ne partent pas parce qu’ils sont financièrement pauvres mais parce que l’espoir d’un vivre mieux est ailleurs. De ce point de vue, ils luttent aussi contre les processus de paupérisation de leurs existences.

La pauvreté, facteur des migrations maliennes ?

Les performances économiques récentes du Mali (croissance réelle du PIB entre 4% et 5% par an ces dernières années) ne sont pas suffisantes pour améliorer significativement le niveau de vie de la population. Avec 14,5 millions d’habitants selon les données provisoires du Recensement général de la population et de l’habitat de 2009, le Mali a connu un taux de croissance démographique annuel de 3,6% depuis 1998. Celle-ci, plus élevée que lors des périodes intercensitaires précédentes, génère des difficultés en matière de réduction de la pauvreté. Le pays ne pourra relever le défi d’atteindre l’ensemble des Objectifs du millénaire pour le développement d’ici 2015. En 2009, près de la moitié de la population vivait sous le seuil de la pauvreté monétaire.

Dans sa politique de développement, le gouvernement malien mène depuis la fin des années 1990, une politique de réduction de la pauvreté, par des programmes mis en œuvre à partir de 2002 dans le Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté puis, pour la période 2007-2011, dans le Cadre stratégique pour la croissance et la lutte contre la pauvreté, adopté en décembre 2006. Si ces politiques ont permis l’amélioration des indicateurs sociaux tels le taux de scolarisation, l’accès aux soins et à l’eau potable, et ce malgré la croissance démographique, le Mali demeure un pays pauvre parmi les pauvres. Avec un indice de développement humain (IDH) de 0.377 en 2007, le Mali est 178e sur les 182 pays classés (PNUD, 2009). Ce cadre stratégique reconnaît la dimension multidimensionnelle de la pauvreté, mais il ne fait pas référence aux migrations dans ses relations à la pauvreté. Cependant, le lien positif migrations/développement n’est plus mis en doute dans les rapports des instances internationales et dans les objectifs des politiques migratoires dans leur volet développement solidaire des objectifs des politiques migratoires. Que les indicateurs retenus pour mesurer la pauvreté s’inscrivent dans l’approche sur la pauvreté monétaire ou dans l’approche multidimensionnelle qui, à la suite des travaux de Sen (1985), identifie les populations pauvres en mettant l’individu et ses « capabilités » au centre des analyses, il n’en reste pas moins vrai que la mesure de la pauvreté reste un exercice difficile.

La pauvreté est l'un des facteurs structurant des déterminants des migrations internationales retenus par les théories économiques mais aussi par des migrants qui espèrent que leur mobilité va leur permettre d’améliorer leurs conditions de vie. Déjà Ravenstein (1885) dans ses lois sur la mobilité avançait que le désir de l’homme d’améliorer son statut sur le plan matériel constituait l’un des principaux motifs des flux migratoires. D’autres théories et notamment Cumulative Causation (Myrdal, 1957) estiment que la migration prive l’économie locale de sa main-d’œuvre la plus dynamique et renforce par la rente migratoire les inégalités entre les familles de migrants et celles dont tous les membres sont restés au pays. Nombres de travaux empiriques issus de la nouvelle économie de la migration de travail (New Economics  Laws of Migration) montrent que ceux qui migrent ne sont pas les plus pauvres et que l’accès à un capital financier est nécessaire mais insuffisant pour envisager une mobilité internationale. Par ailleurs, les travaux de  Massey (1989, 1993) exposent qu’à partir d’un seuil de connexion entre une zone de départ et une zone d’accueil, la migration s'auto-entretient par les effets des réseaux sociaux.

Dans la région de Kayes, notamment dans les localités pionnières en matière d’émigration vers la France (Guidimakha et Dioumbougou) où nous avons pu enquêter, le savoir migrer est reconnu et valorisé, « Nous, on ne nous donne pas la route pour partir », par ces propos, cet instituteur retraité du Dioumbougou fait référence aux réseaux et au capital social nécessaires à l’organisation d’un projet migratoire. Les familles approuvent la diversification des revenus de leurs membres car les migrants sont souvent sollicités face aux risques de basculement dans la pauvreté. Compétences, connaissances et numéraires acquis à l'étranger font de la mobilité une ressource enviée par tous ceux qui n’y ont pas accès. « Tant qu’elle est pure et simple dispersion, atomisation de sujets n’entretenant pas de relations entre eux, la dispersion n’est pas utilisable (…) Elle devient « positive » dès lors qu’elle est valorisée et revendiquée par les sujets, à l’instar de ce que l’on peut observer dans certains entretiens avec des migrants où le fait d’avoir des parents ou des connaissances dans d’autres pays est présenté comme un objet de satisfaction et de fierté, proportionnelles au nombre de pays et de relations. Elle peut alors être utilisée pour faire des choses que l’on ne pourrait pas réaliser autrement. Lorsqu’une certaine disposition dans l’espace permet des réalisations difficiles à exécuter dans une autre situation, cette disposition spatiale devient une ressource. » (Ma Mung, 1999)

Les communes berceau des migrations vers la France bénéficient de cette ressource. La place qu'occupent ces communes dans le classement des 703 communes maliennes selon l’indice de pauvreté communal, s’explique par les investissements des migrants dans les infrastructures et services sociaux de base.



En effet, jusqu’à la construction du « goudron » (axe routier Bamako-Dakar), la région de Dioumbougou était l’une des plus enclavée du Mali. La route la traverse et favorise quelques activités commerciales et de transport mais nombres de villages restent encore inaccessibles à la saison des pluies. Pour lutter contre l’enclavement et permettre aux populations d’accéder aux services de base, les migrants installés en France ont investi dans leur village et commune d’origine. A titre d’exemple, à Marena, cent cinquante initiatives d’associations de migrants, d’ampleur il est vrai très inégales, ont été recensées depuis les années 1960. Avec le retour de migrants porteurs de projets de développement intégré, dans les années 1980, deux centres de santé ont été financés, tant pour la construction que pour le fonctionnement, par les cotisations de migrants installés en France. Pour une population communale de 14 905 en 2009, 2 500 migrants de la commune, dont 1 500 vivent en France, ont été recensés par l’enquête Initiative conjointe pour la migration et le développement financée par l’Union européenne. Au-delà des investissements associatifs, ces migrants assurent individuellement le soutien de leur famille et constituent depuis des années la principale source de revenus des populations qui vivent essentiellement de l’agriculture. Si la sécurité alimentaire est globalement assurée dans le Dioumbougou, les revenus tirés des activités agricoles ne permettent pas aux populations d’assurer tous les besoins.

Les flux financiers venant des émigrés sont les sources essentielles de financement des familles et des communes, que ce soit par des investissements dans des structures de la commune ou pour le  paiement des impôts. Les processus de paupérisation ont donc été limités mais compte tenu de difficultés statistiques et conceptuelles, il semble impossible de généraliser les conclusions des travaux abordant les relations entre la pauvreté et les mobilités (Delaunay, 2006).

Les Maliens en France entre pauvreté et richesses

Les autorités maliennes estiment à 4 millions leurs ressortissants de l’extérieur, dont 500 000 en Europe. Au-delà de la véracité de ces chiffres, quelques milliers résident en France. Ces migrants, principalement originaires de la région de Kayes, se sont installés sur le territoire français au fil de l’histoire de ce couple migratoire initiée par les laptots et tirailleurs sénégalais qui ont servi de têtes de pont pour « donner la route » aux travailleurs arrivant dans les années 1960-1970. Le durcissement de la politique migratoire en France (fermeture des frontières en 1974) a obligé ces travailleurs vivant principalement en région parisienne et organisés au sein des grandes familles africaines en noria (Gonin, 1997) à s’installer durablement.

Depuis lors, la migration des Maliens vers la France s’est transformée :  la migration circulaire de travail a fait place à une migration de peuplement. Ainsi, ils entrent dans l'hexagone par la voie du regroupement familial ou encore de façon irrégulière. Aujourd’hui, il est difficile d’évaluer la population malienne en France tant pour les autorités de Bamako que de Paris. Les estimations oscillent entre 80 000 et 120 000 personnes que le gouvernement malien nomme ressortissants de l’extérieur même si certaines d’entre elles n’ont jamais foulé le sol du territoire national. Quel que soit le mode du calcul (avec ou sans les sans-papiers, avec ou sans leurs enfants), les personnes originaires du Mali sont peu nombreuses en France tant par rapport à la population totale au Mali qu’à celle de la France (2% des ressortissants de l’extérieur et 1% des immigrés).

Selon le recensement de 2007 (INSEE), les immigrés seraient au nombre de 57 546 et les étrangers de 59 541. Une inversion surprenante (habituellement les immigrés sont plus nombreux que les étrangers) qui s'explique par le poids des jeunes nés en France : ceux-ci sont plus nombreux que les Maliens ayant acquis la nationalité française (de l’ordre de 13 000). La structure par âge traduit l’ancienneté du courant migratoire par le vieillissement en France et l’installation durable de la migration.



Si 87% des immigrés vivent en Ile-de-France et principalement en Seine-Saint-Denis, de nombreuses familles s’installent désormais en province. L’image emblématique de ces migrants reste celle d'une population vivant dans des foyers de résidents, même si ceux-ci n’offrent un toit qu’à moins d’un quart des Maliens. Selon le recensement de 2007, 13 047 étrangers maliens vivent hors ménage selon la définition de l'INSEE, dont 96% dans les foyers de travailleurs migrants. Dans ces immeubles souvent insalubres malgré les réfections en cours résident parfois depuis des années des travailleurs et de nouveaux arrivants sans-papiers en quête de travail et de régularisation. Le foyer est un lieu ressource pour les résidents car il permet la convivialité, la reconstruction parfois rassurante des sociabilités d’origine, un entre soi protecteur. Il l’est aussi pour ceux qui l’ont quitté et qui reviennent saluer leurs compatriotes et amis et discuter du pays et des familles restées au village. Faute d’entretien des sociétés gestionnaires, les immeubles construits au début des années 1970 pour héberger de manière provisoire les travailleurs migrants se sont délabrés. Les résidents sont souvent isolés dans ces enclaves de travailleurs noirs ou maghrébins, avec vue souvent imprenable sur le périphérique. Pour lutter contre l’isolement et permettre aux habitants d’un même quartier de mieux vivre ensemble, l’association Attention Chantier organise depuis trois ans le festival de cinéma des foyers. Entre pauvreté matérielle des conditions de vie des résidents et richesse des relations humaines, ce festival traduit de façon surprenante le paradoxe de ces lieux. Dans leurs chambres de quelques mètres carrés quasiment sans mobilier, les résidents entassent leurs quelques effets personnels dans des malles sur lesquelles trônent un vieux téléviseur et un poste radio. Les matelas surnuméraires servent de tapis pour servir le thé dont l’eau aura été chauffée dans les toilettes communes de l’étage. Pourquoi accepter de vivre dans un tel dénuement ? Par contrainte. Dans le meilleur des cas, ces travailleurs appartiennent aux catégories socio-professionnelles d’ouvriers et d’employés de services les moins rémunératrices et travaillent parfois à temps partiel. Leurs revenus ne leur permettent pas d’accéder à un autre type d’habitat. Les logements individuels sont encore moins accessibles pour les sans-papiers. Autres contraintes, et pas des moindres, les remises, révélatrices des liens et solidarités entretenus par les migrants et leurs familles avec leurs concitoyens restés au pays. « Il y a comme un impératif d’ubiquité dans la façon de se penser dans l’espace, il lui faut (au migrant) (…) faire cette double opération de se situer dans deux lieux différents. » (Ma Mung, 1999) Il faut croire que c’est ce don d’ubiquité qui permet l’organisation des associations qui œuvrent pour améliorer les conditions de vie dans les lieux d’origine des Maliens en France.

La balance des paiements du Mali montre que les transferts « reçus par les résidents en provenance de leurs compatriotes établis à l’étranger se sont chiffrés à 200 147 millions (en 2009) après 181 876 millions en 2008, soit une hausse de 10% ».



Ces flux financiers qui transitent par les canaux officiels ont quadruplé en dix ans et doublé entre 2006 et 2009. Par ailleurs, la Banque africaine de développement estime les remises dans son rapport Migrant remittances, A Development Chalenge à 456 millions d’euros, dont 123 millions distribuées
en 2005 via les canaux officiels. Les circuits informels, notamment le système de fax et les transports dans les bagages lors des retours au pays pour les vacances concerneraient encore près des trois quarts de la circulation financière. La géographie de l’origine de ces flux montre l’importance du corridor français (295 millions), devant la Côte d’Ivoire (83 millions) et l’Espagne (47 millions). Malgré leur faible nombre en France, les migrants sont des acteurs économiques esentiels puisqu’ils alimenteraient près des deux tiers des flux selon ce rapport.

Si les pratiques en matière de remises n’ont rien d’exceptionnel dans la mesure où elles sont généralisées à l’acte migratoire et à la réussite du projet migratoire, il n’en est pas de même des montants transmis au départ de la France et de l’affectation de cette manne financière.  Les migrants kayesiens en France sont depuis les années 1970 les principaux acteurs de l’amélioration des conditions de vie dans leur région d'origine. Fait rare, ils ne se contentent pas de répondre aux sollicitations du chef de famille lorsque le grenier est vide ou que les revenus familiaux ne permettent plus de se soigner ; leurs formes d’organisations sociales traditionnelles, particulièrement chez les Soninké, leur ont permis de mutualiser leurs économies pour choisir ensemble au sein d’associations villageoises, communales, voire régionales, les projets d’intérêt collectif à financer. Les migrants ont découvert les enjeux de la formation et de la santé pour le bien-être de tous. Les leaders associatifs, qu’ils aient vieilli à l'étranger ou qu’ils se soient réinstallés au pays, se sont tous formés en migration. Ils ont acquis des connaissances et des compétences avec lesquelles les sédentaires du village peuvent difficilement rivaliser.

En répondant aux urgences en matière d’alimentation, de santé, de frais de scolarisation, ils réduisent la vulnérabilité économique des familles et la pauvreté. Vu des villages, ils sont riches de par le différentiel de pouvoir d’achat même s’ils vivent très modestement pour ne pas dire pauvrement en France et de leur « voyage ». Moins que le nombre, c'est le poids politique et financier des Maliens installés en France qui intéresse le gouvernement de Bamako et influence ses décisions quant à la signature d’accords migratoires.

Le co-développement : réduire quelle pauvreté ?

En se référant au modèle économique libéral dominant, les institutions internationales, et les Etats d’immigration posent comme postulats d’une part que la pauvreté alimente les migrations et d’autre part que les transferts de fonds des migrants participent au développement du pays d’origine.

Depuis quelques années déjà, la France propose au Mali de signer un accord de gestion concertée des flux migratoires et de développement solidaire que le président de la République Amadou Toumani Touré refuse, sous la pression des organisations de la société civile tels l’Association des Maliens Expulsés ou le Forum pour un autre Mali. Au-delà des analyses critiques apportées à ce type d’approche (Gonin, Kotlok, 2009. Kotlok, 2010), le Programme 301 qui finance modestement le développement solidaire encourage les migrants à continuer d’épargner pour mener des actions en faveur du développement et lutter contre la pauvreté. Car l’un des objectifs du développement solidaire est d’appuyer des actions qui pourraient éradiquer les causes de départ en soutenant les initiatives des migrants au bénéfice de leur pays et en soutenant les collectivités territoriales dans leurs opérations de coopération décentralisée. Désormais,  des créations d’activités génératrices de revenus sont censées procurer des emplois et limiter ainsi le nombre de candidats au départ. Cependant, au-delà des possibilités du marché et des potentialités de réussite du projet entrepreneurial, tous les migrants ne sont pas porteurs d'un tel type de projet. Cet appui à la création d’entreprise, notamment dans le cadre du Fonds de solidarité prioritaire co-développement Mali (fermé précipitamment en 2009), n’a d'ailleurs pas atteint ses objectifs. Peu de migrants l’ont sollicité et moins encore ont réussi dans leur projet. Pour ce qui concerne l’appui aux associations, dans son rapport d’évaluation sur la contribution des migrants à leur pays d’origine, Eric Besson écrit au sujet du Mali que « l’aide publique du gouvernement français, plafonnée à 70 % du montant de chaque projet de développement local, a permis de cofinancer vingt-deux projets sur la période 2003-2005, principalement dans les domaines de l’éducation, de l’agriculture, de l’hydraulique et de la santé. » Il va sans dire que les associations de ressortissants et le gouvernement malien ne peuvent être que déçus de ce « développement solidaire ».

Dans les discours, l’appui aux associations de migrants semble rencontrer l’adhésion des deux Etats concernés par ce couple migratoire sans pour autant résoudre les problèmes d’une pauvreté endémique au regard des montants alloués. Ils oublient que ce type d’initiative contribue aussi à l’appauvrissement des contributeurs. En effet, les pressions sociales venant des villages et les sollicitations institutionnelles des Etats invitent les Maliens de France à privilégier les efforts financiers en direction du village à l'amélioration de leur propre quotidien en France. A une autre échelle, les Etats pourraient être tentés de se décharger de leurs responsabilités sur les migrants. Ce risque est d’autant plus grand que l’endettement du Mali ne lui permet pas d’investir sur l’ensemble de son territoire et l'actualité montre que le nord du pays devient prioritaire pour lutter contre l'influence d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). L’absence de l’Etat dans la construction et le fonctionnement des services publics, souvent mentionné par les maires et les migrants de la région de Kayes, pourrait bien perdurer. La succession de crises financières, les risques de faillite de plusieurs Etats européens, les plans de rigueur adoptés ne laissent pas présager d'une augmentation de l’aide publique au développement des pays africains.

Conclusion

Les conditions de vie des Maliens en France restent difficiles : difficultés de logement, situation peu favorable de l'emploi et situation encore plus précaire pour ceux qui ne disposent pas d'un titre de séjour. Mais pour les familles restées au pays, leur situation est enviée. « La migration internationale s’associe à la réussite personnelle, sociale et matérielle, tandis que la sédentarité devient synonyme d’échec. A mesure que les réseaux sociaux se développent, cette culture s’enracine et la migration devient la norme, en particulier pour les jeunes et les valides» (Rapport mondial sur le développement humain, 2009) « Les migrants en France sont dans la misère. Ce n’est pas une vie de travailler tout le temps », dit ce maire d’une commune du Dioumbougou, et d’autres rappellent qu’ils sont devenus, après 40 ans d’efforts, des « sacrifiés et fatigués du développement ». Alors qui est riche et qui est pauvre ? Nos sociétés n’auraient-elles pas à s’inspirer d’un autre regard sur la pauvreté ?

Références

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