Les régimes internationaux de l’environnement

Par Jean-Frédéric MORIN
Comment citer cet article
Jean-Frédéric MORIN, "Les régimes internationaux de l’environnement", CERISCOPE Environnement, 2014, [en ligne], consulté le 24/04/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/environnement/content/part3/les-regimes-internationaux-de-l-environnement

En 1982, le politologue Stephen Krasner a proposé une définition du concept de régime international qui est aujourd’hui encore la plus fréquemment utilisée. Il définit les régimes internationaux comme « des ensembles de principes, de normes, de règles et de procédures de prise de décision, implicites ou explicites, autour desquels convergent les attentes des acteurs dans un domaine donné des relations internationales » (Krasner 1982 : 185, nous traduisons).

Selon cette définition devenue canonique, les régimes internationaux sont composés de quatre éléments : des principes, des normes, des règles et des procédures. Les principes sont des croyances fondamentales et consensuelles. Dans le régime des changements climatiques, un principe essentiel est que les émissions de gaz d’origine anthropique perturbent gravement le climat. Les normes, quant à elles, sont des modèles de comportements attendus pour une identité donnée. Dans ce même régime, une norme commande ainsi aux pays dits « développés » de réduire davantage leurs émissions que ne le font les pays dits « en développement ». Les règles sont des prescriptions ou des proscriptions d’actions spécifiques. Une règle du protocole de Kyoto de 1997, par exemple, exige de l’Union européenne qu’elle réduise ses émissions de 8 % par rapport au niveau de 1990 à l’horizon 2012. Enfin, les procédures sont les pratiques permettant d’adopter et de mettre en œuvre les choix collectifs. Les procédures du régime des changements climatiques favorisent le consensus multilatéral plutôt que des initiatives fragmentées.

Ces quatre composantes sont relativement cohérentes les unes avec les autres, et constituent un régime international. Comme toutes les institutions, les régimes internationaux sont relativement stables et contraignent les actions. Selon les théoriciens institutionnalistes libéraux, cette stabilité et cette contrainte permettent à chacun d’anticiper les comportements futurs des différents acteurs. En réduisant ainsi l’incertitude et en favorisant la prévisibilité, les régimes créent un climat de confiance, abaissent les coûts de transaction, et favorisent in fine la coopération. Les régimes internationaux ne peuvent donc contraindre à la coopération, mais ils contribuent à créer les conditions favorables à son expression.

Aussi, à l’instar des autres institutions internationales, les régimes internationaux peuvent être conceptualisés comme des variables intermédiaires, situées entre les structures d’interaction et les comportements des acteurs (Krasner 1982). D’une part, ils sont le reflet des structures en place, comme la distribution de la puissance et les idées dominantes. D’autre part, ils affectent et conditionnent le comportement des acteurs. La théorie des régimes s’oppose ainsi à la fois à un structuralisme qui ne reconnaitrait aucune autonomie aux acteurs et à un individualisme qui nierait la puissance des structures.

Malgré ces points communs avec les autres institutions internationales, un régime international ne doit pas être confondu avec une organisation intergouvernementale ou un traité international. Les organisations et les traités sont aussi des institutions, mais plus réduites. Ce sont souvent des composantes des régimes internationaux, bien que ce ne soit pas toujours le cas. Il n’y a pas d’organisation intergouvernementale vouée exclusivement à l’eau douce, mais il existe bien un ensemble de principes, de normes, de règles et de procédures qui fondent les attentes des acteurs en matière d’eau douce. On peut aussi imaginer un régime international dépourvu d’instrument de droit public international. En matière de forêt, par exemple, les initiatives intergouvernementales demeurent particulièrement modestes, mais un régime a été développé par des acteurs non étatiques.

Une particularité du concept de régimes internationaux, qui le distingue des concepts voisins de « gouvernance mondiale » et de « système international », est qu’un régime est forcément limité par les frontières d’un domaine donné des relations internationales. Un domaine est un ensemble d’enjeux qui sont abordés de front par un même groupe d’acteurs et qui sont considérés comme interdépendants. Une analyse en termes de régime implique qu’il est nécessaire de limiter les observations au domaine choisi. Il serait par exemple inapproprié d’expliquer les préférences ou le rapport de force d’un acteur dans les négociations en matière de traitement des pesticides par l’étendue de ses forêts, ses politiques énergétiques ou ses émissions de gaz qui appauvrissent la couche d’ozone. Le régime des pesticides est distinct de celui des forêts, de celui de l’énergie et de celui de l’ozone, et ces différents régimes doivent être analysés distinctement.

Par ailleurs, la notion de domaine invite le chercheur à tenir compte de constructions sociales. En effet, l’étendue d’un domaine dépend non seulement de ses caractéristiques objectives, mais également du prisme à travers lequel les acteurs le perçoivent. L’étendue d’un domaine, et dès lors les frontières d’un régime international évoluent avec l’idée que s’en font les acteurs. Par exemple, alors qu’on a longtemps perçu la diversité culturelle et la diversité biologique comme deux domaines indépendants, ils sont aujourd’hui étroitement associés. La diversité culturelle est devenue une question centrale du régime international de la diversité biologique.

A partir de cette définition générale, plusieurs types de régimes internationaux peuvent être distingués (Breitmeier et al. 2006). Certains misent sur un degré élevé de centralisation et de réglementation, comme le régime international des espèces menacées. La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (1973) impose en effet des règles précises et des procédures complexes pour l’importation et l’exportation de plusieurs espèces. D’autres régimes internationaux sont plus flexibles et s’appuient sur des mécanismes de marché. C’est le cas du régime sur la diversité biologique qui laisse aux fournisseurs et aux utilisateurs de ressources génétiques le soin de négocier leurs transactions pour autant qu’elles répondent à certains principes généraux.

On peut aussi distinguer les régimes publics des régimes privés (Green 2013). Bien que plusieurs régimes internationaux de l’environnement soient établis par des Etats et visent à réguler leurs relations, un nombre croissant de régimes sont mis sur pied par des entreprises, des organisations non gouvernementales et d’autres acteurs privés. C’est le cas notamment du régime international sur la certification des produits de la pêche. Mais quels que soient leurs instigateurs et leurs mécanismes, certaines conditions favorisent l’émergence de régimes.