L'institutionnalisation de la coopération transfrontalière en Europe

Par Thomas Perrin
Comment citer cet article
Thomas Perrin, "L'institutionnalisation de la coopération transfrontalière en Europe", CERISCOPE Frontières, 2011, [en ligne], consulté le 15/10/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/content/part2/linstitutionnalisation-de-la-cooperation-transfrontaliere-en-europe

Le terme « eurorégion » fait figure d’appellation générique, voire de standard, pour désigner les principaux outputs de la coopération territoriale européenne car, même s’il renvoie à plusieurs types de coopérations et de regroupements, ceux-ci présentent, malgré leurs spécificités, des caractéristiques communes (Perrin, 2010 ; Morata, 2010). Ainsi, les eurorégions peuvent être définies comme des organisations européennes de coopération plus ou moins structurées, de part et d’autre d’une frontière, entre des collectivités allant de la commune à la région ou leurs équivalents, associées pour la réalisation d’objectifs et de projets communs en fonction d’intérêts partagés et dans le cadre de « territoires de projets ».

Si les premières eurorégions ont été créées le long de la frontière germano-néerlandaise (Euregio en 1958), ces structures se sont multipliées à partir des années 1990 en Europe, ce qui montre que l’apport financier des programmes communautaires a été décisif pour l’institutionnalisation de la coopération transfrontalière. De trente-cinq au début des années 1990, on est passé à plus de cent structures pouvant être considérées comme des eurorégions .Or un tel développement n’est pas sans soulever de contradictions, car le foisonnement d’initiatives est allé de pair avec des statuts institutionnels généralement précaires et peu adaptés (Comte & Levrat, 2006), compromettant la durabilité et, par là même, la légitimité des processes et des organisations de coopération.

Les possibilités ouvertes par le GECT et le GEC devraient venir modifier le paysage de la coopération territoriale en Europe, en permettant de dépasser les barrières administratives et juridiques auxquelles les collectivités sont confrontées lors de la mise en œuvre de coopérations. Cette potentialité est à mettre en perspective avec le fait, par exemple, que l’absence de tels instruments transnationaux apparaît comme un « facteur inhibiteur » de la coopération territoriale en Amérique du Nord (Keating, 2001 : 46). Le GECT, par exemple, possède une capacité juridique reconnue aux personnes morales par les législations nationales et peut agir au nom de ses membres. Moins de cinq ans après la création du statut, une dizaine de GECT ont été mis en place et près d’une vingtaine sont en préparation. Pourtant, malgré une dimension inédite et novatrice, il serait prématuré de considérer ce nouveau statut comme un « statut-miracle, qu’il serait d’ailleurs peu judicieux d’attendre » (Kada, 2007 : 254). Il s’agirait plutôt de raison garder sur les potentialités et les ressorts de ce nouvel instrument, sans pour autant le dénigrer : « Il s’agit, du moins a priori, d’un changement intéressant par rapport à la situation précédente. En tout cas, moyennant cette formule, l’Union tente de répondre, à la fois, à la multiplication des frontières au sein de l’Union européenne consécutif à l’élargissement (+ 15 000 km) et au besoin de renforcer la coopération avec les régions des nouveaux pays voisins dans le cadre de la politique de voisinage » (Morata, 2008 : xıı).


Ainsi, le développement de la coopération transfrontalière reste du ressort de l’intergouvernementalisme, qu’il s’agisse des décisions des États et, à travers elles, de l’action des organisations européennes, ou de la volonté des gouvernements infra-étatiques quant à l’évolution des coopérations qu’ils engagent. De plus, alors que le dispositif de la coopération transfrontalière semble entrer dans une nouvelle phase d’institutionnalisation, la question reste posée de la capacité des eurorégions à incarner un être institutionnel nouveau, notamment auprès des populations. En ce sens, l’institutionnalisation de constructions territoriales telles que les eurorégions est à mettre en perspective avec la construction de l’Union européenne en tant qu’entité sociopolitique à part entière et polity supranationale.

Note : Les citations en langue étrangère ont été traduites par l’auteur. Dans certains cas, pour une meilleure compréhension, les expressions ou textes originaux sont donnés entre crochets.