Frédéric Lasserre,
"La géopolitique de l’Arctique : sous le signe de la coopération",
, 2014, [en ligne], consulté le
09/11/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/environnement/content/part5/la-geopolitique-de-l-arctique-sous-le-signe-de-la-cooperation
Les médias mettent beaucoup l’accent sur l’eldorado que constituerait l’Arctique en matière de ressources, et nombre de pays comme le Japon ou la Chine ne cessent de justifier leur intérêt pour la région et de revendiquer une place d’observateur au sein du Conseil de l’Arctique. Le US Geological Survey estimait en 2008 que 10 % des réserves de pétrole et 29 % des réserves de gaz qui restent à découvrir se trouvaient dans l’Arctique, soit environ 90 milliards de barils de pétrole, 47 261 milliards de mètres cubes de gaz naturel et 44 milliards de barils de condensats de gaz (U.S. Geological Survey 2008). Ces réserves estimées demeurent à prouver et leur présence ne préjuge pas de la rentabilité de leur exploitation. Toutefois, bien que non négligeables – elles représentent environ sept ans de consommation mondiale de gaz, et trois ans pour le pétrole – elles ne sont pas non plus immense et ne sauraient se substituer aux gisements du Moyen-Orient. Les estimations des réserves exploitables dans la région ont fait l’objet d’un enthousiasme excessif : plusieurs compagnies d’exploration font valoir que les gisements découverts à ce jour sont difficiles à exploiter et contiennent beaucoup de gaz et moins de pétrole que prévu. De plus, près de 95 % de ces ressources se trouveraient en deçà des 200 mn, donc dans les zones économiques exclusives (ZEE) que personne ne conteste, ce qui limite la portée des litiges sur les plateaux continentaux étendus. Il est néanmoins certain que d’importants gisements d’hydrocarbures restent à inventorier au nord-ouest de l’archipel canadien, à l’est du Groenland et dans les mers arctiques sibériennes.
Les gisements miniers paraissent prometteurs mais tout aussi difficiles à exploiter. Ainsi, sur l’île de Baffin au Canada, la mine de fer de Mary River devrait entamer en 2014 (après plusieurs années de retard) l’exploitation d’un très important gisement de fer, connu depuis 1960. Cependant, BaffinLand et son actionnaire ArcelorMittal ont opté pour une exploitation plus modeste : alors qu’ils prévoyaient initialement une desserte maritime toute l’année malgré la banquise, au moyen de navires fort coûteux et via un port desservi par une voie ferrée, ils se sont finalement décidés pour une desserte estivale d’un port plus petit et desservi par route.
Plusieurs entreprises minières chinoises commencent aussi à s’intéresser aux ressources arctiques, à High Lake, Izok Lake (MMG Ltd), Kangiqsujuaq (Jilin Jien) et au lac Otelnuk (Wisco) notamment ; certaines ont déjà signé un accord avec la Russie pour l’exploration pétrolière en mer de Laptev (novembre 2012), alimentant des scénarios de menace à terme dont on ne comprend pas très bien le fondement, car la Chine entend bien accéder à ces ressources selon les mécanismes du marché (Alexeeva et Lasserre 2012 ; Huang et Lasserre 2013, 2014). Mais toutes ces ressources demeurent coûteuses à exploiter. Le gisement de gaz russe de Shtokman, découvert en 1989 en mer de Barents, connaît de multiples reports dans sa mise en exploitation. Shell a annoncé la suspension de ses campagnes d’exploration pétrolière arctique en 2012 en raison des conditions opérationnelles très difficiles, en particulier en Alaska, malgré les changements climatiques.
C’est un point majeur : malgré les changements climatiques, l’exploitation des ressources demeure très coûteuse et difficile. Certes, la banquise fond et rend la navigation plus aisée, mais elle est aussi plus mobile et exerce parfois plus de pression sur les plates-formes. Sur terre, la fonte du pergélisol et le raccourcissement de la durée des routes de glace rendent la logistique plus compliquée qu’autrefois. Les multiples reports de la mise en exploitation, les changements de plans sont la preuve de la difficulté d’établir la rentabilité de gisements dans la région, et de la très forte dépendance de ces entreprises envers les cours mondiaux des ressources. En effet, bien davantage que les changements climatiques, ce sont les cours élevés des matières premières qui encouragent celles-ci à se lancer dans des projets arctiques ; les fluctuations de ces cours sont autant de barrières parfois rédhibitoires.