Didier Bigo,
"L’environnement au prisme de l’écologie, du risque et de la catastrophe",
, 2014, [en ligne], consulté le
13/11/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/environnement/content/part4/l-environnement-au-prisme-de-l-ecologie-du-risque-et-de-la-catastrophe
Un des premiers moments médiatiques clés concernant l’irruption de la question environnementale comme question politique et sécuritaire fut sans doute la publication du rapport du Club de Rome sur les limites de la croissance (Meadows et al. 1972). Le rapport insistait sur la contradiction logique entre, d’une part, la finitude du monde et de ses ressources et, d’autre part, l’aspiration à une croissance économique en perpétuelle expansion, concluant contre le schumpétérisme ambiant que le progrès technologique ne pouvait à lui seul satisfaire cette expansion par démultiplication de la productivité. Le Club de Rome innova aussi en utilisant le modèle World3 qui simulait par ordinateur les interactions entre population, croissance industrielle et production alimentaire ainsi que les limites des écosystèmes de la terre. Il laissait voir, dès cette époque, l’impact des hommes sur leur environnement et les implications possibles sur le changement climatique. A sa suite, le débat se focalisa sur les futurs possibles et les meilleurs systèmes de prédiction scientifique autour de deux questions centrales significatives d’une bifurcation intellectuelle en matière de conception de la sécurité. La première approche se moulait dans la problématique traditionnelle des conflits environnementaux et des luttes autour des ressources rares (minerais spécifiques, pétrole, eau) et cherchait à comprendre en quoi la finitude de l’environnement mettait en cause la croissance économique et le progrès. Est-ce que ce fait obligeait à développer des stratégies de long terme en matière de sécurité nationale pour maintenir une prééminence sur les ressources stratégiques qui viendraient à manquer ? Une question jamais démentie depuis lors et qui continue traditionnellement à alimenter les revues sur les conflits liés aux minerais stratégiques, à l’eau ou, plus récemment, au changement climatique et à son influence sur les conflits. Dès lors, comme l’explique l’introduction du numéro spécial de la revue Climatic Change (Gemenne, Barnett, Adger et Dabelko 2014) et la contribution de Hsiang et Burke (2014) dans le même numéro,le changement climatique est problématisé comme multiplicateur de menace (threat multiplier). A cette problématique s’en ajoutait une autre, à la postérité tout aussi longue, concernant le développement d’un volet de stratégie de défense économique promouvant le progrès technique et les recherches de pointe dans les domaines énergétiques : pouvait-on, via l’automation, remédier à cet apparent épuisement et trouver d’autres sources d’énergie ? Comment l’investissement lourd de la défense dans des recherches à trente ou cinquante ans pouvait s’avérer déterminant ? Dans le même temps se faisait jour une autre approche inversant la question des relations entre nature et culture : en quoi l’homme, par la croissance économique, menaçait-il son propre environnement et menait-il à la destruction des générations futures sans y réfléchir vraiment ? Ne fallait-il pas dépasser la logique étatique et interétatique du monde westphalien pour prendre en compte les enjeux planétaires ?
Depuis 1972, la controverse sur les implications d’une économie productive sur un monde naturel fini et une organisation du monde social a eu tendance à s’intensifier. Plus particulièrement, on a vu se développer une panoplie technique de modèles de simulation visant à complexifier les scénarios du futur, à mieux penser la relation de l’homme à son environnement, mais aussi, et on le dit moins souvent, à tellement se spécialiser (en se restreignant par exemple au seul changement climatique et à ses conséquences en termes de sécurité) que la question globale de l’écologie politique en tant que modèle de civilisation alternatif à la croissance continue finissait par être écartée.