Roland Marchal,
"Une « drôle de guerre » : des frontières entre l’Érythrée et l’Éthiopie",
, 2011, [en ligne], consulté le
10/11/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/content/part3/une-drole-de-guerre-des-frontieres-entre-lerythree-et-lethiopie
Un discours convenu sur les frontières en Afrique les décrit comme arbitraires, divisant des groupes ethniques supposés immuables et homogènes, etc. Cette représentation ne s’appuie sur rien, sauf l’ignorance. Les frontières en Afrique sont, comme ailleurs, « du temps dans des espaces », c'est-à-dire des objets historiques. Elles ont été, pour l’essentiel, dessinées entre 1885 et 1910, sans doute la seule véritable spécificité du continent de ce point de vue. Cependant, ces dernières reflètent quelquefois des situations précoloniales et ont été cautionnées par les mouvements nationalistes avant les indépendances, attitude confirmée dans la décision de l’Organisation de l’unité africaine en 1964. Seule, la Somalie s’est alors exprimée contre cette décision qui contrecarrait tout espoir de réunification des populations somalies, pierre angulaire de son nationalisme.
Les conflits armés sur le continent ont été nombreux mais peu d’entre eux ont concerné les frontières des États. Sans en faire une liste exhaustive, on peut citer la contestation des frontières coloniales entre l'Algérie et le Maroc, la Libye et l’Égypte en Afrique du Nord, ou encore le Tchad et la Libye (bande d’Aozou), l’Ouganda la Tanzanie, la Mauritanie et le Sénégal, le Mali et l’actuel Burkina Faso, le Cameroun et le Nigeria (presqu’île de Bakassi). De plus, certains conflits ont vu le jour à partir de la revendication du maintien de la frontière coloniale : Érythrée/Éthiopie (1961-1993), Sahara Occidental/Maroc, Somaliland/Somalie.
Le conflit entre l’Érythrée et l’Éthiopie intervient à la fin des années 1990, dans une période marquée par une multiplication des guerres civiles sur le continent africain. La communauté internationale, surprise par l’escalade militaire, se mobilise pour contenir des affrontements qui font entre 70 000 et 100 000 morts. Face à des parties particulièrement retorses, elle construit sa médiation sur une analyse du conflit en termes de différend frontalier comme l’explicite l’accord de paix signé à Alger en décembre 2000 après la conclusion d’un cessez-le-feu qui limite la défaite d’Asmara.
La mise en œuvre de cet accord, garanti par les grandes puissances, se révèle très difficile et tourne court en août 2008. Les implications de ce conflit et de cet échec sont sans commune mesure avec l’incident initial. D’une part, les deux régimes se sont retrouvés aux prises avec de fortes divisions internes qui ont été réglées par le renforcement de l’autoritarisme ; d’autre part, si le conflit n’a pas repris, la ligne de front a changé et s’est portée ailleurs, notamment en Somalie. La communauté internationale n’a pas tenu ses promesses et a préféré trouver des excuses à son allié stratégique dans la région, Addis-Abeba, plutôt que mettre en œuvre une décision qui l’humiliait.
Mais, on aurait tort de limiter les conséquences de cette impasse à ces deux seuls pays. La question des frontières et de leur délimitation effective est aujourd’hui au centre de l’actualité régionale et, à terme, continentale. La probable indépendance du Sud-Soudan soulève de nombreuses interrogations qui ont été esquivées un peu trop rapidement en 1991 ou 1993.
Ce texte revient sur le conflit lui-même et les implications régionales de l’échec de son règlement, et conclut en évoquant une réactualisation de la question des frontières sur le continent.