Phénomène diasporique, transnationalisme, lieux et territoires

Par Michel Bruneau
Comment citer cet article
Michel Bruneau, "Phénomène diasporique, transnationalisme, lieux et territoires", CERISCOPE Frontières, 2011, [en ligne], consulté le 19/04/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/content/part4/phénomène-diasporique-transnationalisme-lieux-et-territoires

Aux espaces de diasporas, centrés ou non, on peut comparer les espaces des communautés transnationales qui se sont constituées dans la seconde moitié du XXe siècle à partir d’un champ migratoire construit en rapport avec un État-nation récent, tel que la Turquie, la Bolivie, Grenade, le Mexique, les Philippines, le Maroc, etc. Leur principale caractéristique est d’être très liés à cet État qui de son coté cherche à utiliser son champ migratoire pour devenir un État transnational, c’est-à-dire à avoir la plus forte interaction possible avec ses migrants qu’il s’efforce de conserver comme citoyens, même si ceux-ci sont dotés d’un statut particulier. Ces espaces transnationaux n’ont pas la profondeur historique des espaces de diaspora. Ces derniers ne doivent pas leur existence ou leur organisation à tel ou tel État-nation mais souvent préexistent à ces formes étatiques ou encore les ont créées. Certains Etats-nations tentent de maîtriser ce qu’ils considèrent comme leur diaspora mais le propre de cette dernière est de vouloir conserver son organisation et son autonomie, y compris dans les cas où elle entretient des rapports privilégiés avec un État-nation « d’origine ».

Telle est la différence essentielle entre une diaspora et une communauté transnationale. La première a une existence propre, en dehors de tout État, s’enracine dans une culture forte (religion, langue…) et des temps longs ; elle a créé et développé ses réseaux communautaires et associatifs. La seconde est née de la migration de travailleurs qui conservent leurs bases familiales dans l’État-nation d’origine et circulent entre cette base et un ou plusieurs pays d’installation. Ils maintiennent un ancrage fort avec leur lieu d’origine et un lien de citoyenneté ou institutionnel avec leur pays d’origine. Dans une diaspora, cet ancrage et ce lien ont très souvent disparu à la suite d’une catastrophe ou bien ont été entièrement recréés avec le temps. Le transmigrant est beaucoup trop dépendant de son État-nation d’origine et de celui de son pays d’accueil pour s’autonomiser et devenir créateur comme « l’être en diaspora ». Le groupe social auquel il appartient se limite le plus souvent à sa communauté villageoise ou urbaine d’origine et au réseau transnational de ses migrants, tandis que l’être en diaspora a le sentiment d’appartenir à une nation en exil dispersée à l’échelle mondiale et d’être le porteur d'un idéal.

Dans le modèle de l'« autochtonie », du toujours ici sur lequel se fonde l'État-nation moderne, l'identité s'élabore en relation étroite avec le lieu au cours d'une histoire plus ou moins longue. Au contraire, dans la diaspora, l'identité préexiste au lieu et cherche à le re-créer, à le remodeler, pour mieux se reproduire. L'individu ou la communauté en diaspora se trouvent dans des lieux qu'ils n'ont pas produits et qui sont eux-mêmes porteurs d'autres identités. Ils vont donc chercher à créer au sein de ces lieux un espace qui leur soit propre et qui renvoie ou se réfère à d'autres espaces, ceux au sein desquels s'est constituée leur identité, celle de leurs parents, de leurs ancêtres, leurs lieux d'origine. La déterritorialisation s'accompagne ou est suivie d'une reterritorialisation.

Dans une communauté transnationale, seul existe vraiment le lieu d'origine vers lequel l'individu est tout entier orienté, alors que son lieu d'installation est plus ou moins provisoire, toujours perçu comme un lieu de passage et non pas d'investissement personnel ou de reterritorialisation. Ce rapport aux lieux et aux territoires fait toute la différence entre la diaspora et les autres formes de mobilité ou de transnationalité.