Phénomène diasporique, transnationalisme, lieux et territoires

Par Michel Bruneau
Comment citer cet article
Michel Bruneau, "Phénomène diasporique, transnationalisme, lieux et territoires", CERISCOPE Frontières, 2011, [en ligne], consulté le 25/04/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/content/part4/phénomène-diasporique-transnationalisme-lieux-et-territoires

Le terme de diaspora vient du verbe grec speirein (semer) ou plus précisément du verbe composé diaspeirein (disséminer) et indique la dispersion d'une population. Il a été emprunté au vocabulaire religieux des Juifs hellénophones d'Égypte dans le texte de la Bible de Septante (traduction en grec de textes écrits en hébreu et en araméen) à propos des communautés juives situées hors d'Egypte. Son extension à d'autres cas que celui des Juifs est récente ; elle n'est véritablement attestée qu'en 1968 et le terme est entré dans les dictionnaires dans les années 1980.

Pour que le concept de diaspora ait un sens précis et heuristique fécond, il ne faut pas l'appliquer à toute forme de dispersion, provisoire, instable ou précaire. Toute diaspora résulte d'une migration, volontaire ou non, mais toute minorité ethnique n'appartient pas nécessairement à une diaspora. Ce n'est pas le cas des minorités ethniques vivant sur leur territoire d'origine comme les minorités irrédentistes (Hongrois de Slovaquie ou de Roumanie, Grecs d'Epire du Nord ou de Constantinople) qui relèvent du « toujours ici » et non pas de l'« issu d'ailleurs » propre aux migrants. Toute forme d'exode ou d'exil ne conduit pas obligatoirement à la constitution d'une diaspora, en tout cas pas immédiatement. La migration économique ne crée pas nécessairement une diaspora. Il faut qu’avec le temps se maintienne un sentiment d’appartenance, une identité par une décision consciente, voire en vertu d’un certain acharnement.

Dans son sens originel de la diaspora juive après la première ou la deuxième destruction du temple de Jérusalem, une diaspora est issue d'une dispersion forcée. C'est le cas de nombreuses diasporas résultant d'une catastrophe ou d'un génocide comme celles des Arméniens, des Assyro-chaldéens, des Grecs pontiques… Mais il n'est pas toujours possible de faire une distinction stricte entre les personnes qui migrent pour des raisons politiques et celles qui le font pour des raisons économiques. Il est des départs plus ou moins forcés en raison d'une oppression, d'une famine ou de conditions de vie jugées insupportables par ceux qui prennent la décision de migrer. En dehors de cas extrêmes, les motifs d'origine politique ou économique sont souvent mêlés ou concomitants. Par ailleurs, les très anciennes diasporas sont issues de plusieurs vagues migratoires dont les unes étaient plutôt d'origine politique, les autres plutôt d'origine économique. L'actuelle diaspora arménienne est issue du génocide de 1915-1916 mais elle a été précédée par une diaspora marchande, dont l'origine était à la fois politique et économique, celle de la nouvelle Djoulfa aux XVIIe et XVIIIe siècles, par exemple. La dispersion collective et forcée provoquée par un désastre de nature politique ou militaire alimente la mémoire collective.

Espace et territoire de diaspora doivent être appréhendés d'abord dans les pays d'accueil où le lien communautaire joue le rôle essentiel, puis dans le pays ou territoire d'origine, pôle d'attraction lié à une mémoire, et enfin à travers le système de relations internes à l'espace-réseau qui relie ces différents pôles. Le terme de diaspora a un usage très souvent plutôt métaphorique qu'instrumental. Des différents critères proposés par la plupart des auteurs, on peut en retenir quatre fondamentaux :

- La population considérée s'est dispersée dans plusieurs lieux et, en tout cas, dans plus d'un seul territoire non immédiatement voisin du territoire d'origine, sous la contrainte (désastre, catastrophe, famine, grande pauvreté).
- Le choix des pays et des villes de destination s'accomplit en conformité avec la structure des chaînes migratoires qui, par-delà les océans, relient les migrants à ceux qui sont déjà installés dans les pays d'accueil, ces derniers faisant figures, à la fois de passeurs vers la société d'accueil et le marché du travail et de gardiens de la culture ethnique ou nationale. Les structures familiales et communautaires (village ou ville d’origine) jouent un rôle essentiel.
- Cette population s'intègre dans les pays d'accueil sans s'assimiler, c'est-à-dire conserve une conscience identitaire plus ou moins forte liée à la mémoire collective du territoire, de la société d'origine et de son histoire. Cela implique l'existence d'une vie associative assez riche, d’un lien communautaire. Il s’agit d’une « communauté imaginée » qui s’appuie sur un récit collectif la rattachant à un territoire, une mémoire, une nation.
- Ces groupes de migrants (ou issus de la migration) dispersés conservent et développent entre eux et avec la société d'origine, lorsque celle-ci existe encore, des relations d'échanges multiples (hommes, biens de diverses natures, informations...) organisés sous la forme de réseaux. Cet espace réticulé relie des pôles non strictement hiérarchisés, même si certains d'entre eux sont plus importants que d'autres. Les relations sont plus souvent horizontales que verticales.

À cette conception de la diaspora communautaire, on oppose de plus en plus celle d’une diaspora hybride, qui se démarque très nettement de tout modèle centré.