Les Irakiens en Syrie et en Jordanie : régimes d'entrée et de séjour et effets sur les configurations migratoires

Par Géraldine Chatelard et Mohamed Kamel Doraï
Comment citer cet article
Géraldine Chatelard et Mohamed Kamel Doraï, "Les Irakiens en Syrie et en Jordanie : régimes d'entrée et de séjour et effets sur les configurations migratoires", CERISCOPE Frontières, 2011, [en ligne], consulté le 16/04/2024, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/content/part2/les-irakiens-en-syrie-et-en-jordanie

Au regard du nombre d'Irakiens accueillis dans les pays voisins, le majeure partie des pays industrialisés – à l'exception notable de la Suède jusqu'en 2008 – ont majoritairement fermé leurs portes aux réfugiés et demandeurs d'asile irakiens, leur octroyant au compte-gouttes le statut de réfugiés. L'Union européenne est la principale destination des réfugiés irakiens (plus de la moitié des demandes d'asile), bien que des pays comme l'Australie, les États-Unis ou le Canada en accueillent également quelques milliers sous divers statuts.

L'évolution récente des demandes d'asile montre que les principaux pays d'accueil (Suède et Grèce) ont mis en place des politiques visant à limiter l'arrivée et l'accès à la demande d'asile des réfugiés irakiens. D'autres Etats, tels que l'Allemagne et la France, ont mis en place des programmes spécifiques visant l'accueil d'un nombre limité de réfugiés sélectionnés. Ces chiffres sont le résultat des politiques d'asile restrictives mises en œuvre dans de nombreux pays européens, qui combinent un accès difficile à la demande d'asile et assimilent les demandeurs potentiels à des migrants illégaux avec des taux de reconnaissance très faibles visant à décourager les nouvelles arrivées.

Alors que les pays développés ont maintenu et/ou développé des politiques restreignant l'arrivée des demandeurs d'asile irakiens sur leur sol, les politiques de réinstallation préconisées par le HCR demeurent elles aussi limitées et ne concernent qu'une infime fraction des réfugiés présents en Syrie et en Jordanie. Depuis février 2007, 19 000 réfugiés ont été réinstallés dans des pays tiers, dont un peu plus de 13 000 aux États-Unis (UNHCR Syria at a glance, 2010, Damas), ces chiffres étant très nettement inférieurs aux personnes proposées à la réinstallation par le HCR.

Face à l'instabilité qui perdure en Irak et à la fermeture des portes de nombreux pays occidentaux aux demandeurs d'asile et donc à la difficulté pour les Irakiens de voyager, les mariages avec des Irakiens de la diaspora venus d'Australie, du Canada, des États-Unis, de Suède ou d'Allemagne se multiplient  à Damas ou à Amman. Leurs conjoints ou conjointes les rejoignent ensuite grâce au regroupement familial. Dans l'exil, les écarts se creusent entre les familles qui ont d'importantes connexions locales et/ou transnationales et celles qui ont un accès limité aux ressources et à la mobilité.

Les régimes gouvernant l'entrée et le séjour des Irakiens en Syrie et en Jordanie ont pour effet de créer des différentiations sociales et spatiales. D'une part, ces régimes jouent un rôle dans la distribution actuelle des migrants irakiens entre les deux pays en terme de volume et de profil socioéconomique. D'autre part ces régimes, en créant différentes catégories de migrants, induisent un différentiel d'accès à la sécurité via la mobilité, produisant de nouvelles stratifications sociales et forçant les migrants les moins privilégiés à adapter leurs projets migratoires. La diversité des expériences migratoires, leur inscription dans des temporalités plus ou moins longues et leurs logiques plurielles (asile, refuge temporaire, transit, commerce, pèlerinage) sont des éléments qui caractérisent aujourd'hui la migration irakienne en Syrie et en Jordanie. La majeure partie des Irakiens peut être considérée comme réfugiée, mais l'absence de reconnaissance de ce statut par les autorités des pays d'accueil rend son installation précaire et réversible. Si les mieux dotés en capital économique et social ont réussi à stabiliser leur situation juridique et/ou socioprofessionnelle dans leur pays d'accueil, beaucoup d'Irakiens connaissent une baisse importante de leur niveau de vie et ne peuvent pas trouver du travail. Ce facteur, couplé à la difficulté de maintenir des liens tangibles avec l'Irak et l'intégrité de la cellule familiale par la circulation transfrontalière, incite un grand nombre à tenter d'émigrer de façon légale ou illégale dans un contexte où les principaux pays d’accueil hors du Moyen-Orient tendent à fermer leurs portes.